Cahier critique 23/09/2020

“Aucun regret” d’Emmanuel Mouret

Aurélie et Célia sont deux amies de l’école des beaux-arts quand Olivier, un bel étudiant en architecture, séduit Aurélie. Célia la met en garde, il a mauvaise réputation avec les filles. Mais Aurélie ment alors à Célia en l’assurant qu’elle n’est pas intéressée par Olivier et cache qu’elle a accepté un rendez-vous.

Réalisé entre Caprice et Mademoiselle de Joncquières, avec lequel il entretient quelques similitudes, Aucun regret est l’occasion pour Emmanuel Mouret de planter son théâtre amoureux dans un environnement qui lui est familier : sa ville natale, Marseille, où il tourna ses premiers films. Mais loin de lui l’idée d’y chercher une couleur locale. Tout part d’une présentation documentaire des Beaux-Arts et de son déplacement du cœur de la ville à sa périphérie, soit une manière de poser (et de rappeler) les bases d’une écriture cinématographique toujours très pragmatique, mais coupée de tout ancrage naturaliste. Car si les décors traversés sont importants – et ils le sont toujours chez Mouret –, ils se présentent avant tout comme des scènes hors de la réalité où s’orchestrent très concrètement la circulation, l’éclosion du sentiment amoureux jusqu’à sa dissolution, tel un pigment de couleur dilué dans de l’eau.

Cette distanciation est également relayée par le choix de doubler le personnage principal – la narratrice, en voix off, avec un accent étranger – d’une héroïne de fiction, sans accent. La rampe entre le soi-disant réel et la fiction est ici clairement exposée pour mieux être oubliée, dépassée. Car tout ici est affaire de croyance pour le spectateur comme pour l’héroïne. L’influence rohmérienne (on pense notamment au court métrage Nadja à Paris, 1964) se manifeste une nouvelle fois chez Mouret via une confrontation entre la théorie et l’expérience. Ainsi, Aurélie se laisse séduire par Olivier, malgré la mise en garde de son amie Célia informée du manque de fiabilité du jeune homme. L’amoureuse (la lumineuse Katia Miran), étudiante en peinture, apporte de la chair, de la couleur à un récit sentimental pourtant écrit, “bâti” d’avance, comme lui rappelle sa confidente introduite symboliquement en même temps que l’école d’architecture.

La beauté d’Aucun regret tient en partie au désir du personnage féminin d’y croire et de vivre cette romance, malgré ses doutes. Histoire d’une désillusion programmée, Aucun regret appréhende l’incertitude amoureuse sans une once de cynisme, à la manière d’un conte, cruel et sage, empreint d’un gracieux mélange d’innocence et de clairvoyance. L’apprentissage de l’étudiante (souvent filmée dans son travail sans pour autant qu’on voit ses tableaux) dépasse ainsi le strict champ artistique ou plutôt il le redéfinit en y incluant une dimension intime – la toile amoureuse – et temporelle. Le temps fera son œuvre, ou plutôt le temps fait œuvre, littéralement. Soit une manière d’envisager l’amour comme un des beaux-arts.

Amélie Dubois

Réalisation et scénario : Emmanuel Mouret. Image : Laurent Desmet. Montage : Catherine Catella. Son : Guillaume Chevalier, Maxime Gavaudan et Pascal Hochenedel. Musique originale : Giovanni Mirabassi. Interprétation : Katia Miran, Mathieu Metral et Fanny Sidney. Production : Belavox Films.