Cahier critique 29/07/2020

“Ato san nen” de Pedro Collantes

Drôle d’endroit pour une rencontre.

À travers la visite improbable du Japonais Hiroshi chez l’Espagnole Marisa, Ato san nen aborde avec humour la question des différences culturelles. Le film joue ainsi avec nos préjugés et avec la peur de l’autre en semant le doute sur les intentions du touriste nippon, qui déclare venir voir le fils de Marisa alors que ce dernier, en voyage à Berlin, affirme ne pas se souvenir de lui. Le running gag du chien, qui aboie à chaque fois qu’Hiroshi enlève sa casquette, alimente la crainte tandis qu’un plan où on voit l’étranger manipuler un sabre achève de le rendre suspect. Si le film semble alors sur le point de basculer dans l’horreur, il n’en sera pourtant rien : quand l’homme évoque son désir de goûter la paëlla, Marisa renonce à se débarrasser de lui, se faisant au contraire un devoir de l’initier à cette tradition nationale. Prudente, c’est toutefois dans un restaurant plutôt que chez elle qu’elle décide de lui faire découvrir le fameux plat.

En l’absence d’une langue commune (Hiroshi ne parle que quelques mots d’espagnol), les personnages ont alors du mal à communiquer. Marisa demande tout de même au voyageur de lui raconter une histoire en japonais, dont elle va pouvoir apprécier la beauté des sonorités. Libéré de la peur d’être jugé, Hiroshi ose quant à lui parler de sa femme emprisonnée pour vol, alors qu’il prétendait auparavant ne pas avoir de famille. Une vérité s’exprime également au-delà de la langue, à travers un langage non verbal permettant au personnage féminin d’être émue par le récit de son interlocuteur et d’avoir le sentiment de mieux le connaître. Marisa observe finalement avec une curiosité amusée le comportement de son ami qui, conformément aux clichés en vigueur, ne cesse de prendre des photos et ne tient pas du tout l’alcool. Alors qu’elle s’était renfermée suite à la mort de son mari, la villageoise semble enfin retrouver le sourire. Elle devra pourtant affronter un autre deuil, celui de son chien Tico, mais cette fois-ci avec le soutien d’Hiroshi, à qui l’animal semble presque céder la place. Alors qu’ils étaient jusqu’ici séparés par des champs/contrechamps, la fin rassemble les personnages au sein du même plan : à travers leur rencontre, ces deux solitudes auront ainsi réappris à s’ouvrir l’une à l’autre.

Chloé Cavillier

Réalisation et scénario : Pedro Collantes. Image : Diego Cabezas. Montage : Miguel Doblado.
Son : Sergio Henriquez, Olivier Pelletier et Samuel Cabezas. Interprétation : Mabel Rivera,
Kenji Yamauchi et Carlos Kaniowsky. Production : Easy Tiger.