Cahier critique 22/06/2021

“Asmahan la diva” de Chloé Mazlo

Asmahan, diva et princesse druze, a eu une courte vie, mais quelle vie ! Mariages, gloire, espionnage, amants, alcool, poker, suicides, meurtres, scandales. Cette Marilyn orientale a marqué la grande époque des comédies musicales égyptiennes. Aujourd’hui encore, sa voix résonne dans tout le Proche-Orient et sa mystérieuse mort dans les eaux du Nil continue d’alimenter les plus folles rumeurs.

Amal El Atrach, dite Asmahan (1917-1944), disparue mystérieusement en pleine gloire, sa voix continue de résonner”. Avec ce carton final en forme d’hommage, Chloé Mazlo parachève son biopic de six minutes sur le destin hors normes de cette diva méconnue. Malicieusement inventive, la réalisatrice excelle de savoir-faire, pour aller de la naissance à la mort de sa protagoniste. Un arc narratif qui sert d’armature pour mieux distiller une ribambelle de trouvailles, le long de cette aventure entièrement filmée en stop-motion. Ce procédé, essentiel dans le travail de la cinéaste, colle parfaitement à la reconstitution de moments-clés de l’existence de la chanteuse. L’effet saccadé épouse la sensation de revoir des images d’archives, ou en super 8, comme si elles ressurgissaient d’un passé enfoui et secret, ravivées par la magie du cinématographe. Le rétro chromo fonctionne aussi à plein tube, tout comme les poses, gestes adoptés et découpes de papier, entre héritage de l’ère du muet et roman-photo.

Joueuse, l’auteure incarne elle-même la femme-phénomène. Belle fusion entre la visée de l’artiste et son implication, en s’entourant aussi à l’écran de ses proches. Elle lui redonne vie, le temps d’une fiction, tout comme elle célèbre ses racines moyen-orientales (libanaises) via son aînée syrienne. L’attachement pour ses terres si loin si proches se double du plaisir d’être en pleine épopée. Le chemin existentiel d’Asmahan est dingue, digne d’une fresque à multiples rebondissements. Un ressenti romanesque d’autant plus prégnant qu’il est ici compressé par la durée, comme “suédé” dans un élixir esthétique au parfum unique. De L’amour m’anime (2007) à Sous le ciel d’Alice (2020), Chloé Mazlo réenchante le réel. Avec une portée documentaire, elle mêle aussi sa biographie intime, personnelle et familiale, au service d’un regard transversal sur le monde. La diva semble être une inspiration lointaine du destin de sa dernière création, Alice, exilée à Beyrouth. 

La mélancolie nourrit aussi chaque photogramme. Celle, lucide, de l’aventurière sur sa propre trajectoire, qui déclare en voix-off : “J’aurais voulu être une étoile, mais je ne suis qu’une étoile filante”. La femme astéroïde n’a pas eu le temps d’épanouir tout ce qu’elle aurait voulu d’elle-même. Pourtant, sa marque reste visible. Jusqu’à ce court métrage que la cinéaste a rêvé, écrit, filmé, incarné et costumé. C’est un appel à la liberté que chante ce portrait volontariste, féministe, avant-gardiste, d’un être né et mort sur les flots. Une vie qui vogue au gré des impulsions. Une fluidité dans la ligne fixée : l’instinct libertaire. Alors, tant pis pour les sacrifices et les abandons, Asmahan, la diva défend avec bienveillance l’amour du risque.

Olivier Pélisson 

France, 2019, 6 minutes.
Réalisation, costumes et interprétation : Chloé Mazlo. Scénario : Chloé Mazlo et Christophe Duchiron. Image : Nadine Buss. Montage : Stéphane Jarreau. Son : Bruno Guéraçague, Romain Le Bras et Benjamin Cabaj. Musique originale : Bachar Mar-Khalifé. Voix : Arina Al Joundi. Production : Causette Prod et Doncvoilà Productions.

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