Cahier critique 29/06/2021

“Après” de Wissam Charaf

Hani revient dans son village du Liban qu’il trouve abandonné et hostile. Dans ce pays, fin de parcours pour les âmes perdues, Hani devra réapprendre à vivre.

S’il n’est pas son jumeau, Après est au moins le cousin proche du long métrage Tombé du ciel, pas seulement parce qu'ils furent tous deux réalisés en 2016. Dans ce dernier, premier long du Libanais Wissam Charaf, un milicien que tout le monde pensait mort réapparaît à Beyrouth, s’immiscant dans la vie de son petit frère, mais aussi de la communauté. Tombé du ciel partage avec Après un ton et une mise en scène affirmée, pour traiter de l’absence et du retour, de l’atavisme de la violence et de ses traumatismes, dans un pays qui vit dans le souvenir de la guerre civile, les tensions communautaires et le chaos du présent.

Alors que dans Tombé du ciel, on ne savait littéralement pas d’où venait Samir, sinon de nulle part, le prologue d’Après donne quelques indications par une série de plans aussi vifs qu’elliptiques : un homme a la mâchoire tailladée, encagoulé manu militari, il est jeté dans le coffre d’une berline qui file à toute allure, alors que la bande son crépite de coups de feu. Séquence suivante : Hani émerge du flou en s’avançant dans les locaux d'une épicerie ; sa balafre empêche toute hésitation, il est bien celui qui est kidnappé pendant le prologue. On ne peut pas dire que ce retour de Hani au village soit triomphal : quand on ne lui oppose pas de l’hostilité, on lui demande de ne pas traîner. Voici un déraciné à qui l’on refuse de reprendre place dans sa communauté, condamné à vivre comme une sorte d’homme des bois à la lisière du monde.

Le cinéma de Wissam Charaf passionne par son sens de la mise en tension de pôles plus ou moins contraires, parmi lesquels la mélancolie et la drôlerie, dans un ton qu’il est tentant de qualifier de “kaurismakien” – et d’ailleurs, ces histoires de types qui tombent plus ou moins du ciel, plus ou moins amnésiques, complètement en prise avec la dureté et la violence du monde, nous renvoient grandement à L’homme sans passé d’Aki Kaurismäki (2001). Le lien se prolonge d’ailleurs par la mise en scène de Wissam Charaf, basée sur des plans fixes et larges, agencée aux corps, à la gestuelle, à la pose et aux postures d’acteurs faisant dans l’underplaying. C'est un cinéma de la ligne claire, à combustion lente, qui affiche ses artifices, notamment de la lumière, un mode d’expression burlesque où la rigueur et la rationalité semblent sans cesse sous la menace d’un brusque détraquement.

Quand Hani rencontre une mystérieuse beauté évanouie à bord d’un bolide rutilant, on peut éventuellement se prendre au jeu de la rédemption par l’amour, au bras d’une belle au bois dormant. Mais la parade amoureuse est pour le moins étrange, comme si les sentiments étaient eux aussi détraqués, alors qu’une porosité se manifeste entre réalité et onirisme délirant. Et le cœur du film devient peut-être cette grenade qui n’est pas qu’un MacGuffin mais l’allégorie de tout individu comme du Liban dans son ensemble : une grenade constamment dégoupillée, que l’on peine à enfouir. Comment, en reposant sur un tel passé de violence, peut-on espérer obtenir de beaux fruits ? Difficile de se décider à propos de la signification du plan final : véritable espoir ou ironie mordante ?

Arnaud Hée

France, Liban, 2016, 34 minutes.
Réalisation : Wissam Charaf. Scénario : Mariette Désert. Image : Tom Harari et Martin Rit. Montage : William Laboury. Son : Pierre Bompy, Emmanuel Zouki et Paul Jousselin. Musique : Zeid Hamdan. Interprétation : Julian Farhat, Yumma Marwan, Mirna Antonios, Robin Nikolaï, Sylvain Geray et Nibal Arakji. Production : Aurora Films et Né à Beyrouth Films.