Cahier critique 06/11/2019

"Antonio, lindo Antonio" de Ana Maria Gomes

Mais où est passé le bel Antonio ?

L’écran noir sur lequel s’ouvre ce moyen métrage documentaire d’Ana Maria Gomes est la première manifestation du vide laissé dans sa famille par un homme. L’Antonio du titre, qui n’est autre que l’oncle de la réalisatrice, a quitté son Portugal natal pour le Brésil et n’y a pas remis les pieds depuis cinquante ans. Une brume fantomatique glisse lentement sur les reliefs rocailleux de la montagne où l’absent a grandi ; elle donne d’emblée à l’enquête menée une orientation onirique. S’amorce ainsi le mouvement du film, celui flottant, envoûtant d’un voyage (senti)mental, d’une rêverie familiale. La résolution de “l’énigme Antonio” – où est-il, pourquoi est-il parti ? – n’apparaît pas comme une fin en soi. Certes, le personnage intrigue mais, au-delà de la curiosité soulevée par son départ et par sa personnalité, c’est davantage la manière dont Antonio existe là où il n’est pas, où il n’est plus, qui intéresse la réalisatrice. Les mots de la famille tissent un récit morcelé, lacunaire qui nourrit immanquablement le fantasme et la légende.

Au cours de ces évocations, un autre paysage, une autre inconnue s’imposent, il s’agit du visage émacié, magnifique, de la grand-mère de la réalisatrice. Le portrait en creux qui se dessine progressivement est autant celui de l’absent que de sa mère, souvent mangée par l’ombre. Devant la caméra de sa petite-fille, la vieille femme au regard perçant affirme une présence butée, pudique mais aussi comique. Car, précisons-le, le ton adopté est loin d’être figé dans la gravité, malgré les conditions de vie extrêmement modestes de cette femme aux chaussures trouées. Mêlant de brefs moments d’entretiens et des situations du quotidien, le montage apporte une certaine légèreté et pudeur, sans tomber dans le pittoresque et sans renoncer non plus à une certaine élégance picturale (diplômée des Arts décoratifs et du Fresnoy, Ana Maria Gomes est également chef-opératrice). L’enquête se fait plus ouvertement joueuse quand, arrivée au Brésil, la réalisatrice tente de retrouver la trace de son oncle. Choisis au hasard, les inconnus qu’elle interroge se prennent au jeu de la fiction et finissent pas inventer un Antonio qu’ils ne connaissent pas, allant jusqu’à l’imaginer en scénariste de telenovelas. C’est ainsi par la voie de la fiction, de ces vies rêvées du bel Antonio, que nous arrivons à notre homme et que nous tenons l’autre bout du fil tendu par le film, celui invisible, insondable, qui relie une mère à son fils et nourrit mille et une histoires.

Amélie Dubois

Réalisation et scénario : Ana Maria Gomes. Image : Ana Maria Gomes et Lisa Persson. Montage : Suzana Pedro.
Son : Diana Meireles, Enrique Ligeiro, Antonio Carlos Jesus et Colin Idier. Interprétation : Antonio Gomes,
Marcolina Gomes Teixeira, Custodio Gomes Teixeira, Bento Gomes Teixeira, Fatima Da Silva Gomes, Alvaro Gomes, Leandro Gomes et José Maria Gomes. Production : G.R.E.C.