"American Football" de Morgan Simon
Cinq ans avant "Compte tes blessures", Morgan Simon signait ce court romantique sur fond de hard rock et de tatouages.
Le ballon de football américain du titre constitue, dans ce film qui a achevé de révéler Morgan Simon après sa sortie de la Fémis, un détail en apparence très périphérique, oblongue objet lancé au personnage principal, Zack, par son ami américain Nate, tatoueur et ancien joueur professionnel (campé par l’excellent Nathan Willcocks, acteur fétiche du réalisateur), tandis qu’il entre dans sa boutique pour lui rendre l’argent qu’il lui doit. Un simple geste de cool attitude dans un milieu toujours associé à une certaine marge, même si la mode du tattoo est presque devenue la norme, mais surtout un discret symbole de ce que distille au jeune chien fou cette sorte de mentor en termes de (relative) sagesse et de réflexion sur le monde…
Car Zack, chanteur du groupe Seven Day Diary (on retrouve ce nom de baptême, tout comme l’acteur Julien Krug, en musicien cette fois, dans Compte tes blessures, premier long métrage de Morgan Simon), envisage chaque chose de façon frontale et offensive : il chante en hurlant, braillant, gueulant, comme le spectateur en fait l’expérience d’emblée en se faisant littéralement pulvériser l’ouïe sur un écran noir d’ouverture (on retrouve du reste ce procédé dans Compte tes blessures). Le jeune homme fait passer ainsi toute sa rage, même si sa vie semble lui convenir amplement, entre quête permanente de thune et drague improvisée quand l’occasion se présente, comme avec cette jolie blonde croisée dans le magasin de fringues d’un pote où il aspire à travailler.
La grande affaire du film est dans ce boy meets girl à priori des plus communs, mais la façon de l’aborder en fait tout le sel ; Zack attaque Andréa (ils ignoreront longtemps leurs vrais prénoms respectifs, les plus conventionnels Vincent et Christelle) de façon directe et délibérément mal élevée, ironisant sur la taille de ses cuisses, un trait de répartie qui reviendra du reste en running gag. La jeune fille réplique et les échanges fusent, vertement. On pense à l’acuité de regard d’un Dolan sur de jeunes adultes, encore copieusement immatures (voir l’univers rose bonbon de la demoiselle, avec les cupcakes qu’elle vend et sa petite culotte de sportswear), mais parfois plutôt trash dans leur manière d’être. Ainsi se cristallise un certain romantisme post-moderne, où une séance de jeux érotiques est filmée au portable, sans doute avec le risque de se retrouver un jour en ligne… Ces jeunes gens emblématiques de leur génération 2.0 vivent dangereusement, mais avec toujours autant de mal à formuler leurs sentiments. Ils excellent surtout à se chambrer et se faire des coups en douce – il lui vole son portefeuille, elle lui dessine une bite sur le plâtre ! –, mais doivent apprendre à se livrer. Et c’est assez beau…
Christophe Chauville
Réalisation et scénario : Morgan Simon. Image : Steeven Petitteville. Son : Marc-Olivier Brullé, Alexis Jung et Samuel Aïchoun. Montage : Marie Loustalot. Décors : Marion Burger. Musique : Good Health. Interprétation : Julien Krug, Lilly-Fleur Pointeaux et Nathan Willcocks. Production : Easy Tiger.