Cahier critique 01/04/2018

“Amalimbo” de Juan Pablo Libossart

Une plongée singulière dans les limbes pour ce film produit à l’échelle européenne. Clermont-Ferrand 2018.

Un beau premier film d'un réalisateur argentin, fabriqué entre la Suède et l'Estonie. Présenté au stade de projet à Clermont-Ferrand, le film a par la suite eu les honneurs de sélections à Venise ou Annecy et d'une nomination aux European Film Awards. Un périple onirique dans les limbes, emprunt de poésie. Un style graphique très personnel.
Laurent Crouzeix, programmateur du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand

 

Il y a plusieurs clefs pour pénétrer (dans) Amalimbo, selon que l’on suit (ou veut suivre) les déambulations de la fillette à la recherche de l’âme de son père ou questionner le processus créatif lui-même ; ce sont les deux principaux “carburants” du film. Le cinéaste louvoie constamment entre ces deux pôles. Les propositions narratives évoluent, se croisent, s’annulent et rebondissent dans d’inédites traverses psychiques ou esthétiques. Les pensées, les quêtes de la fillette, son désir de retrouver son père la conduisent à traverser de nombreux univers graphiques et psychiques qui agrègent des formes, des images, des visions venues des divers horizons.  

Juan Pablo Libossart qui travaille sur son ordinateur a la possibilité d’actualiser et de réinterpréter divers styles et genres qui ont parsemé et nourri le cinéma d’animation bidimensionnel. Il brosse, en un quart d’heure, une attachante et déstabilisante ode à l’altérité psychique et à la création. On a devant nous un faux film de found footage entièrement conçu par le cinéaste. Susan Pitt dialogue visuellement avec Walerian Borowczyk, Walt Disney (la baleine) et bien d’autres. 

L’œil du spectateur s’immisce dans un cube inscrit dans une constellation, puis dans un environnement urbain où une fillette rêve dans son lit. Les propositions graphiques qui conduisent aux déplacements physiques et mentaux de la petite Tipuana sont variés, multiples et induisent une grande variété d’approches et de lectures de ce “conte”. Il n’y a pas d’évolution temporelle dans ce court métrage, seulement des fluctuations de pensées, de pulsions, de propositions plastiques. Les changements d’échelle de représentation sont brusques : avant d’entrer dans le cube, un environnement industriel gigantesque fait appraître les humains comme des fourmis ; cela se reproduit dans la séquence, en noir et blanc, comme dessinée au fusain et qui peut rappeler le graphisme stylisé de Paul Driessen, qui montre la mort du père. Les lieux et les personnages ont des identités fluctuantes : un voyage en train, de nombreuses incursions dans des univers fantasques qui vont de la SF façon René Laloux (Les maîtres du temps) au dessin au trait proche des pionniers américains. On pense à la série Out of the Inkwell (Hors de l’encrier) de Max et Dave Fleicher (années 1910 et 1920), vers la fin avant que Tipuana ne rentre dans le cube (l’encrier de l’infographiste ?) et ne croise le personnage du créateur de la fiction (un bonhomme esquissé à gros traits rouges) qui lui apprend que son père est un glinch, un simple dysfonctionnement de l’ordinateur.
Amalimbo, court métrage à fin ouverte, n’est pas spécialement un film pour enfants, mais ces derniers peuvent le regarder. Le cinéaste utilise avec brio une fêlure qui peut être commune à tous (la perte d’un parent) pour broder sur une infinité de variations plastiques autour de ce thème en utilisant des modèles graphiques propres aux nombreuses identités du cinéma d’animation. C’est visuellement très ludique.

Raphaël Bassan

Réalisation, scénario et montage : Juan Pablo Libossart. Image : Pia Lehto et Niklas Karpaty. Animation : Roland Seer et Denis Chapon. Son : Gustaf Berger et Lars Wignell. Musique : Anders Kjellberg et Asa Carlson. Interprétation : Margaretha Ulfendahl et Anna Odell. Production : Fork Film et Fasad (Suède / Estonie).