Cahier critique 24/04/2019

“Alexis Ivanovitch vous êtes mon héros” de Guillaume Gouix

Un homme, un vrai...

Découvert à la Semaine de la Critique en 2011, le premier film du jeune comédien Guillaume Gouix (qui fut notamment le Jimmy Rivière de Teddy Lussi-Modeste la même année) mérite amplement qu’on y revienne, même de façon tardive.
Comme dans le récent Les meutes de Manuel Schapira, un accès de violence, aussi soudain qu’injustifié, coupe le film en son mitan et modifie la vision, et même la personnalité de son personnage principal. Cette séquence charnière, ici, intervient plus tôt, juste après une mise en place baignant dans une tranquillité qui laisse peu augurer de la suite. Dans un quartier de l’est parisien, Alexis est en terrasse avec Cerise, parlant de tout et de rien, plaisantant et faisant gentiment le mariole. Une banale histoire de cigarette guignée par un quidam à la table voisine débouche sur un cassage de gueule en règle, démesuré par rapport à son prétexte (un refus distrait) et perpétré par un individu qui n’a – heureusement – pas le physique de l’emploi...

L’incursion de la brutalité dans un environnement qui n’en est pas familier, ou qui l’ignore tacitement, agit comme un véritable trauma. Ce ne sont pas des séquelles physiques que traîne Alexis, mais la honte de s’être laissé faire – sans doute davantage par incrédulité que par couardise. Le jeune homme se sent rabaissé par l’humiliation, subie sous les yeux de celle qu’il aime. Dans l’une des plus belles scènes du film, alors que Cerise danse, très désirable, lui ne l’observe qu’à travers un vitrage, comme si elle lui était désormais inaccessible et que sa propre masculinité avait été battue en brèche.

La construction du film met judicieusement en exergue le cas de conscience de ce jeune homme ordinaire, qui voudrait pouvoir appuyer sur une touche “rewind” et se comporter autrement. Le réalisateur concrétise ironiquement ce souhait improbable de son personnage par son montage, qui ressuscite alors précisément la rencontre d’Alexis et Cerise, devant les vitrines des grands magasins, alors que la jeune fille avait le cafard et qu’Alexis “Ivanovitch”, cape sur les épaules, portait le costume de ce Superman qu’il voudrait continuer à être aux yeux de sa bien aimée. Loin de son aisance d’alors, il n’a plus qu’à refermer la porte sur son déshonneur.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°103, 2012.

Réalisation et scénario : Guillaume Gouix. Image : David Chambille. Montage : Albertine Lastera. Son : Vivien Mergot, Raphaël Hénard et Nicolas Provost. Musique originale : Benjamin Le Souëf et Fanny Touron. Interprétation : Swann Arlaud, Michaël Abiteboul, Nade Dieu et Fanny Touron. Production : Dharamsala.