“After School Knife Fight” de Caroline Poggi et Jonathan Vinel
Avant leur passage au long, Caroline Poggi et Jonathan Vinel signent ce court mélancolique sur les derniers moments de l’adolescence.
La question du départ, de l’au revoir traverse la jeune filmographie de Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Comment l’exprimer ? S’agit-il un adieu ? Que deviennent ceux que l’on a laissés derrière soi ? Autant d’interrogations qui animent leurs héros. Dans leur premier court métrage, Tant qu’il nous reste des fusils à pompe - Ours d’or du court métrage en 2014 -, Joshua cherche une seconde famille pour son frère Maël, avant qu’il ne rejoigne Sylvain, son ami suicidé ; dans Martin Pleure, un court métrage d’animation de Jonathan Vinel inspirée par le jeu vidéo Grand Theft Auto, le héros, abandonné, jure de retrouver ses amis disparus.
After School Knife Fight plante dans un terrain vague, en lisière de forêt le dernier jour de “Knife Fight”, un groupe de rock. Ils se retrouvent pour leur dernière répétition. La chanteuse, Laetitia, part à Paris pour ses études au grand dam de Roca, Nico - Lucas Doméjean et Nicolas Mias, interprètes fidèles de Poggi et Vinel - et Nael. Ce départ met un terme - provisoire ? - à leur histoire. Ancrés dans des espaces marginalisés, tels le village de Bouloc sans âme qui vive de Tant qu’il nous reste des fusils à pompe ou bien le Los Angeles au ralenti de Martin pleure, les personnages, au jeu distancié et peu expressif, réagissent chacun à leur façon. Le groupe ne cesse de se diviser. Roca et Laetitia vont écouter de la musique dans une clairière pendant que les autres discutent pour tuer le temps. Puis les duos se recomposent. Les mots qu’ils échangent laissent percevoir des non-dits. Dès les premiers plans, le regard de Roca au visage enfantin, puis les deux beaux travellings inversés qui lient le batteur et la chanteuse, ne font aucun doute. Rocca aime Laetitia. “Faut que tu lui dises, sinon tu le regretteras toute ta vie” lui assène Nael, préoccupé, lui, par son avenir…
Dans cette atmosphère morne et tendue, Laetitia aligne ses amis et les photographie avec son iphone. “Si jamais, je vous manque l’année prochaine, vous m’envoyez la photo et je viens !” leur lance-t-elle. Le souvenir numérique de cette journée fatidique se confronte au format 16mm du film. Le choix de la pellicule leste After School Knife Fight d’une nostalgie que le numérique n’aurait peut-être pas. Il s’agit d’une histoire de souvenirs. Le groupe gardera en mémoire cette répétition comme leur ultime représentation. La complicité d’antan s’incarne dans les sourires de ce dernier concert. Joli tableau que ce plan composé, où, éclairés dans la nuit, les quatre jouent, chacun à leur poste, sur une scène de nature, où jaillissent herbes folles et bâches bleues en boule. Tour à tour, ils exultent sur le morceau “Perfect Life” de Belong. Ils profitent du moment présent auquel le son indirect apporte une étrangeté. Le groupe s’arrête, chacun rentre chez soi, seule la musique continue. Un texto illumine Laetitia dans la pénombre. Quand le moment de se dire au revoir est révolu, il ne reste plus que les souvenirs.
Vladimir Lozerand
Retrouvez notre entretien avec Caroline Poggi et Jonathan Vinel dans le Bref n°122.
Réalisation, scénario et montage : Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Image : Marine Atlan. Son : Tristan Pontecaille, Olivier Voisin et Victor Praud. Interprétation : Lucas Doméjean, Nicolas Mias, Pablo Cobo et Marylou Mayniel. Production : Ecce Films.