Cahier critique 14/04/2018

"Adieu Molitor” de Christophe Régin

L’idée du long métrage “La surface de réparation” de Christophe Régin, en salles actuellement, trouve sa source dans son premier court.

Les coulisses du monde du football professionnel constituent une toile de fond tentante pour un récit fictionnel, avec tout ce que l’univers du ballon rond suppose d’ambitions et de désillusions – donc d’épaisseur romanesque – entre argent, pouvoir, sexe et magouilles. Ce ne sont pas de récents épisodes de l’actualité qui le démentiront et Christophe Régin, émoulu de la Fémis, s’en est servi pour dépeindre la vie chaotique d’un ancien joueur n’ayant jamais percé et qui évolue à la marge du système, pour le compte d’un cacique d’un grand club (en l’occurrence le Paris-Saint-Germain). Michel joue les chaperons officieux de footballeurs immatures et se mue à l’occasion en petit escroc revendant au noir des places de stade.

Le film s’axe entièrement autour de ce personnage aux espoirs déchus, qui est de toutes les séquences et que le réalisateur suit principalement en plans rapprochés, donnant une vraie dynamique à son évolution dans les arcanes d’un milieu où il balade sa frustration, à fleur de peau et au bord d’une explosion toujours possible. Michel est exposé à la vie facile qui aurait pu et dû – s’il avait fait carrière –, être la sienne, faite de renommée, de fric et de groupies. Et le joueur en crise qu’il doit remettre en selle – toute ressemblance avec des personnalités réelles n’étant évidemment pas fortuite – apparaît comme un double en négatif, d’où la violence se déchaînant finalement à son encontre. La mise en scène traduit en permanence cette distance mince mais définitive, à travers un grillage ou une vitre. Ou encore une ancienne petite amie qui refait surface pour annoncer qu’elle va en épouser un autre…

Pour tenir un tel rôle, il fallait un acteur aux épaules suffisamment larges et Julien Lucas se révèle très convaincant, après avoir été remarqué dans d’autres courts et moyens métrages, comme Home de Patric Chiha ou Le naufragé de Guillaume Brac. L’intensité de sa présence amène le film sur les rives d’une étrange mélancolie, celle des existences avortées, encore davantage mises à nu lorsqu’elles côtoient la lumière sans pouvoir la tutoyer, dans un coin de l’Ouest parisien volontiers “modianesque”, à proximité des boulevards de ceinture et de la Porte Molitor.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref no 94, 2010. 

Réalisation et scénario : Christophe Régin. Image : Julien Poupard. Montage : Frédéric Baillehaiche. Son : Vincent Verdoux et Julien Roig. Interprétation : Julien Lucas, Roxane Mesquida, Thomas Murviel, Jean-François Stévenin, Adèle Haenel et Michèle Brousse. Production : 10 : 15 Productions.