Cahier critique 27/02/2019

“Action vérité” de François Ozon

Cap’ ou pas cap’ ?

Le titre du film renvoie à ce jeu de groupe pratiqué exclusivement, du moins on préfère le penser, à une période de l’adolescence où se voient ainsi permises certaines audaces, dans le verbe et le geste, et naturellement en premier lieu autour de la sexualité. On se lance des défis en une série de rites d’initiation, pour oser des choses qui peuvent normalement inhiber et aussi pour satisfaire des curiosités parfois un peu perverses, sinon une pulsion inavouée de voyeurisme. On sait que les premières années de la carrière de François Ozon étaient délibérément tournées vers un certain tropisme de transgression, avec une démarche toujours velléitaire d’ébranler la bien-pensance d’un milieu bourgeois et établi qui était, sans surprise, celui de sa famille.

Avec Action vérité, réalisé par Ozon après sa sortie de la Fémis, celui-ci joua de la spontanéité de ses jeunes interprètes, sans doute collégiens et dont aucun n’a poursuivi dans la carrière, pour tirer le maximum de l’extrême simplicité de son dispositif. Soit quatre ados assis en losange dans la chambre de l’un(e) d’entre eux, se provoquant à coup de challenges à accomplir ou de révélations à livrer aux oreilles des autres. Il y a presque un réalisme de captation dans la façon de filmer, isolant les protagonistes dans des cadres en plan rapproché, ce que rompt seulement parfois l’exigence d’un ordre formulé et conduisant à une intimité imprévue, par exemple pour faire se toucher les langues durant quelques secondes... Disons le tout net, les teenagers de 1994 sont à des années-lumière de ceux de 2019. À l’époque, pas d’internet, donc pas de pornographie accessible en deux clics, et la première réaction de l’un des garçons lui enjoignant d’embrasser sur la bouche l’une des filles présentes, semble bien candidement dérisoire : “Putain, c’est hard !”...

Reste que l’éternel mystère du passage d’un âge à l’autre trouve ici un angle particulier d’observation, passant par la représentation concrète d’un élément organique. Alors que le jeune réalisateur assumait absolument de provoquer la surprise ou le dégoût en montrant, le sang menstruel fait écho à d’autres secrétions, comme cette semence masculine jaillissant dans Victor (1993) ou évoquée dans les dialogues – et les photographies – de La petite mort (1995). Plus mortifères, les étrons de Regarde la mer (1997), pour qui s’en souvient, en heurtèrent certains. C’est comme si cette première période de la filmographie aujourd’hui très conséquente d’Ozon était placée, jusque dans le geste artistique, sous cet emblème du “cap’ ou pas cap’”, que l’on pourrait juger infantile, mais qui n’est pas dénué d’efficacité narrative sur une durée de quatre minutes. Le Prix du Syndicat de la critique, alors baptisé “Prix Novais-Texeira”, lui fut d’ailleurs alors décerné, ex-aequo avec Le p’tit bal de Philippe Decouflé, autre instantané de ces temps qui semblent désormais si lointains.

 

Christophe Chauville

 

Réalisation, scénario et montage: François Ozon. Image : Yorick Le Saux. Son : Benoît Hillebrant. Interprétation : Farida Rahmatoullah, Aylin Argun, Fabien Billet et Adrien Pastor. Production : Fidélité Productions.