"Acide" de Just Philippot
Mourons sous la pluie.
Un ours en peluche est abandonné sur le bord de la route comme le symbole d’une jeunesse déchue. Le ciel s’assombrit tandis que le jouet se dissout sous une pluie toxique battante. En quelques plans rapprochés au minimalisme spectaculaire, Just Philippot parvient à suggérer une catastrophe tempétueuse.
Acide – qui appartenait à un programme de quatre courts métrages aux contours fantastiques sorti en salles début 2018 (1) et résultant d’un partenariat fructueux entre SoFilm et Capricci Films – est mené tambour battant, presque en temps réel. Une moto tombe en panne, il faut continuer à pied. Même s’il s’inscrit profondément dans le film de genre (horreur aux saillies sanglantes), Philippot n’oublie pas de s’intéresser avant tout à ses personnages, aux corps qui peinent à avancer, à traverser un paysage et à effectuer des gestes à la fois simples et complexes : s’enfuir. Le thème-leitmotiv du réalisateur est la relation entre les êtres, et plus particulièrement entre un enfant et ses parents. Comment la famille arrive-t-elle à exister dans un sentiment d’urgence, dans une situation de survie ? Dans son précédent court métrage, Ses souffles (2015), une jeune mère subissait de plein fouet la précarité en vivant avec sa fille dans l’habitacle étroit d’une voiture. Il est également question d’étroitesse dans Acide : celle du cadre, où les personnages se retrouvent prisonniers d’un monde qui devient inextricable (on ne peut aucunement échapper aux gouttes de pluie), pour finalement s’enfoncer dans une atmosphère foncièrement claustrophobique. Ce mouvement cinématographique doit très certainement sa crédibilité aux interprétations convaincantes de l’incandescente Maud Wyler (vue récemment dans Perdrix d’Erwan le Duc) en mère dépassée et de Sofian Khammes (découvert dans Chouf, de Karim Dridi, en 2016) en père désillusionné.
Le film mêle à la fois singularité thématique et aboutissement formel. La campagne, comme espace de tous les dangers, est photographiée avec soin dans une lumière naturaliste grisâtre de Pierre Dejon. La mise en scène de Philippot, agressivement âcre, est constamment proche des protagonistes, au fil de travellings latéraux intenses accompagnant le récit immersif d’une fuite en avant. Comme dans Phénomènes de M. Night Shyamalan (2008), la menace est naturelle et imprévisible. L’enjeu est plastique (les éléments invisibles ont une incidence sur les corps), mais aussi écologique, le cinéaste convoquant des images marquantes dans le contexte d’un climat contemporain désastreux. Réussissant à parler du monde avec autant de verve que de pertinence en convoquant une imagerie aussi troublante, Acide est un galop d’essai réjouissant.
William Le Personnic
(1) 4 histoires fantastiques, sorti le 14 février 2018.
Réalisation et scénario : Just Philippot. Image : Pierre Dejon. Montage : Héloïse Pelloquet. Son : Mathieu Descamps, Alexandre Hecker et Antoine Bailly. Musique originale : The Penelopes. Interprétation : Maud Wyler, Sofian Khammes, Antonin Chaussoy, Jérôme Deruti, Clément Bertani et Hélène Stadnicki. Production : La petite prod et Capricci films So Film.
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