Cahier critique 24/01/2023

“À l’ombre l’après-midi” de Marin Gérard

Une journée a priori banale dans la vie de Quentin, cinéphile parisien.

Au début d’À l’ombre l’après-midi, Quentin (Quentin Dolmaire) file à toute allure dans les rues du Quartier latin afin de ne pas manquer sa prochaine séance de cinéma. La sensation du mouvement et de la vitesse est accentuée par les panoramiques qui accompagnent son trajet. En quelques plans, Marin Gérard parvient ainsi à figurer un élan : la passion du cinéma qui pousse le jeune Parisien à courir d’une salle à l’autre. C’est une force qui l’anime autant qu’elle l’anesthésie et le retranche du monde : plongé dans une forme de léthargie (il s’endort régulièrement au cinéma), Quentin est à plusieurs reprises moqué pour son apparence négligée, voire maladive. Au Reflet Médicis, le personnage donne l’impression de se fondre dans le décor, connaissant le guichetier aussi bien que les problèmes de climatisation ou les spectateurs dérangeants. Cette familiarité procure la sensation réconfortante d’un chez-soi tout comme elle exacerbe les petites manies du protagoniste, devenu moins tolérant à son environnement à force de le côtoyer. Si le film égrène les références (de Billy Wilder à Tsai Ming-Liang, en passant par Alain Tanner), il se laisse toutefois appréhender autrement qu’à travers le prisme de la connaissance. 

Quentin n’a d’ailleurs pas besoin d’être au cinéma pour se faire des films : dans un bar, il écoute avec attention l’histoire de rupture de sa voisine lorsque sa rêverie est brusquement interrompue par l’arrivée de son ami Adrien (Salif Cissé). Le réel fait déjà irruption dans son imaginaire au début du film où, la tête dans les nuages, il médite sur Billy Wilder au son d’Avanti ! avant que la musique ne s’arrête d’un seul coup, au moment où il s’ouvre le doigt en coupant un oignon. Son esprit s’égare ainsi régulièrement, à l’image des digressions du récit et de l’errance des deux amis au Parc Montsouris. Au cours de cette échappée verte, le personnage quitte l’ombre de la salle pour s’ouvrir à la lumière extérieure et à sa rencontre avec Lise (Mathilde Weil), une comédienne comme lui plutôt discrète et tranquille. Le cinéaste préfère à la relation amoureuse attendue une complicité aux contours plus vagues, qui déplace le protagoniste hors de ses frontières et élargit son horizon le temps d’un après-midi. Dans un bel équilibre entre humour et mélancolie, flottement et précision, À l’ombre l’après-midi laisse alors entrevoir la beauté dans les recoins les plus infimes du quotidien. 

Chloé Cavillier

France, 2022, 33 minutes.
Réalisation et scénario : Marin Gérard. Image : Anna Sauvage. Montage : Nathan Jacquard. Son : Claire Ballu, Noëmy Oraison et Sylvain Adas. Musique originale : Émile Petitperrin. Interprétation : Quentin Dolmaire, Mathilde Weil, Salif Cissé, Marie Rosselet-Ruiz, Luc Rodier et Maya Ernest. Production : Les Films du Sursaut.