“78 tours” de Georges Schwizgebel
Maître incontesté de la peinture animée suisse, Georges Schwizgebel nous entraîne dans le tourbillon de la vie.
Le titre du film de Georges Schwizgebel nous dévoile son programme. Pendant une valse, il nous entraîne dans l'évocation d'un temps peut-être révolu, un temps suspendu, celui d'un beau dimanche de printemps, un moment de fête et d'insouciance, alors que, pourtant, les aiguilles d'une montre ne cessent de tourner et de nous rappeler l'inexorable passage du temps. Les heures tournent et se répètent en un éternel recommencement, comme tournent les manèges de la fête foraine ou le tourniquet d'un parc, des danseurs ou comme pouvait le faire un 78 tours sur sa platine. Mais contrairement au temps, ces grisants moments d'amusement où l'on s'étourdi prennent fin, et l'on est de nouveau entraîné dans le cours de la vie quotidienne.
Georges Schwizgebel joue sur le rythme et le motif de la ronde. Tout tourne dans 78 tours, à commencer par le titre, dont les lettres sur un disque s'éparpillent en dansant en toute liberté. Le spectateur est entraîné dans cette ronde enivrante, passant d'un manège à l'autre, des enfants en train de jouer à des couples dansant. Mais tout ceci n'est peut-être qu'un trompe-l'oeil, comme la pelouse d'un parc et ses badauds, qui ne sont en fait que les motifs de la robe d'une femme endormie. Schwizgebel nous ramène à intervalles réguliers à une autre réalité, celle d'un homme buvant seul son café dans sa chambre, avant de reprendre le cours de sa vie. La musique entraînante dans laquelle nous étions immergés prend la sonorité sourde d'un poste de radio, et le vert prairie fait place à des teintes moins éclatantes. L'escalier en colimaçon est figé, ses boucles ne promettant pas le même étourdissement que les mouvements d'un manège ou d'une valse.
Le style de Georges Schwizgebel et l'utilisation de la peinture animée mettent en exergue cette dualité, ce paradoxe du temps qui passe et que l'on voudrait retenir, du temps qui semble lourd et ne jamais finir. Le minimalisme du mouvement permet à la fois de sentir la suspension lorsque la caméra s'attarde sur les images fixes, et son inexorable passage lorsque les motifs s'enchaînent dans un jeu de morphing, un tourniquet devenant une tasse à café, se transformant elle-même en escalier, puis en manège, en praxinoscope, pour finir en simple tache de lumière sur un mur. La caméra semble virevolter au rythme de la musique à l'accordéon si évocatrice des bals populaires et d'un temps perdu. 78 tours laisse une impression de mélancolie, où la joie se mêle à un sentiment de perte.
Cécile Giraud
Pour en savoir plus sur l'œuvre de Georges Schwizgebel, lire le dossier que nous lui avions consacré dans Bref no 116 (2015).
Réalisation, scénario, image et montage : Georges Schwizgebel. Son : Jacques Robellaz et Pierre-Alain Besse. Musique : Alessandro Morelli. Production : Studio G.D.S. (Suisse).
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