Cahier critique 08/02/2017

"Le fils de quelqu’un" de Gregory Robin

Section Films en Région Auvergne-Rhône-Alpes

La première impression laissée par Le fils de quelqu’un est celle d’un film d’acteurs. Un bon et des bons... Il y a là, dans le rôle de Bruno, Robinson Stévenin, dont la rareté à l’écran fait oublier à quel point il est l’un des plus magnétiques de sa génération. Il retrouve un père plutôt à la ramasse, Roger, qu’incarne sobrement André Wilms, très sollicité par les court-métragistes depuis deux ou trois ans (voir par exemple Des millions de larmes de Natalie Beder, présélectionné aux César cette année). Tous deux se rendent bientôt chez le frère de Bruno, Damien, joué par Antoine Chappey, invariablement formidable depuis bientôt trente ans, même quand il semble ne rien faire de particulier. Un trio de haut vol, donc…

Mais Le fils de quelqu’un est aussi le film d’un metteur en scène, qui aborde le motif de la famille par une évidence qui n’est pourtant pas le versant le plus envisagé au cinéma : des contacts contraignants entre individus n’ayant rien à se dire. Ou ne pouvant, parfois, se dire quoique ce soit. La gestion du silence est ici remarquablement maîtrisée, d’abord au fil d’un trajet en voiture exempt de tout échange, alors que des explications, sinon des justifications sont attendues par le fils après la disparition (signalée à la gendarmerie) de son père, une durable absence de nouvelles de sa part et la découverte récente de la vente de sa maison et de tous ses biens. Les kilomètres défilent sans un mot et seule la radio peut venir briser une ambiance finalement étouffante.

En miroir de cette séquence, l’arrivée chez Damien, aux environs de Carcassonne, à cinq cent kilomètres du point de départ (près de Moulins), suscite un nouvel épisode d’absolue non-communication entre individus partageant pourtant le même sang. Un plan fixe de plus de cinq minutes, dans la cuisine de la maison où vit le frère aîné avec sa femme Laure (Lolita Chammah), comprend même une bonne minute de face-à-face sans dialogues, seulement émaillée des sons de la pendule, du café qui coule et des froissements de la parka de Bruno décidé à reprendre la route sans attendre. C’est en fait comme un round d’observation avant une inéluctable explosion, où ce qui reste sur le cœur devra sortir. Roger, éminemment conscient d’avoir “déconné” (il est en fait soumis au vice du jeu), est alors incapable d’affronter le regard de son fils. L’instant est dur, évidemment crucial, mais poignant également. Les liens distendus ont fini par céder, définitivement. Il faut passer à autre chose. Être le fils d’un quelqu’un sans nom ni présence. Le chemin du retour promet d’être long…

Christophe Chauville

Réalisation : Gregory Robin. Scénario : Marie Féret, Julien Féret et Gregory Robin. Image : Stéphane Degnieau. Son : Nicolas Leroy et Maxime Champesme. Montage : Gregory Robin, Julien Féret et Nathalie Langlade. Musique : Franck Vigroux. Décors : Jean-Michel Pupin. Interprétation : Robinson Stévenin, André Wilms, Antoine Chappey, Lolita Chammah, Christophe Reymond et Marc Barbé. Production : Ama Productions.