Extrait
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Le Boug Doug

Théo Jollet

2020 - 26 minutes

France - Fiction

Production : Solab, JTM, l’EnsAD

synopsis

Dans une petite commune du centre de la France, Doug et sa bande errent autour du stade municipal. Ils forment une communauté sans but, s’amusant de blagues et se rémunérant de petits larcins et autres ventes illicites. Cet équilibre fragile se voit alors bouleversé par l’apparition d’une entité mystique lors de l’une de leurs parties de football.

Théo Jollet

Né en 1994 à Tours, Théo Jollet a réalisé en 2017 son premier film, d’une durée de 24 minutes, Global terroir, puis un court métrage documentaire en 2019 : People of Cincinnati. Celui-ci est sélectionné l’année suivante au Festival Entrevues de Belfort.

À la même époque, Théo Jollet sort diplômé de la section photo/vidéo de l’ENSAD, à Paris, avec son œuvre de fin d’études : Le Boug Doug. Le film est sélectionné en première mondiale à Rotterdam en 2021, avant d’être présenté à Sarajevo, à nouveau à Belfort, puis à Premiers plans, à Angers, et à Clermont-Ferrand, où il remporte le Grand prix de la section Labo en 2022.

Théo Jollet a créé le studio JTM avec deux autres jeunes réalisateurs et designers rencontrés durant ses études, avec lesquels il écrit tous ses projets : Thomas Trichet et Martin Maire. Il a cosigné le montage du Taxi de Sun City, réalisé par le premier en 2019.

Critique

À l’avant d’une voiture, deux jeunes vocifèrent un cri de guerre. D’abord spontanés, leurs cris se calent peu à peu sur un même beat, puis la caméra panote et à l’arrière un rappeur entame son texte regard caméra. Derrière lui s’improvise une bataille de polochons ; une arme tombe, quelqu’un la ramasse et tire en l’air ; tout le monde prend peur. 

Fiction, documentaire, clip ou reportage ? Le Boug Doug s’ouvre en brouillant les pistes. Ici, il n’est pas question de faire “cinéma”, mais plutôt de proposer une expérience visuelle et sonore sur le modèle du cypher, jam session version rap où chacun prend son tour et expose son art enrichi par l’alchimie collective. Fruit d’une collaboration très libre et organique, cette insolite comédie musicale rap qui alterne fiction et performance avec la fluidité d’une brasse coulée s’est d’abord construite à partir d’une batterie de morceaux composés pour le film par le groupe OG RasK, que les acteurs se sont ensuite appropriés en y ajoutant leur touche et leur texte.

Mais le film ne se résume pas à la simple captation d’un live-set. Sa trame narrative, dévoilée par un homme-mystère, la tête couverte d’une serviette à l’arrière d’une voiture, prend progressivement la forme d’un rébus. Au gré des rencontres, des improvisations, des associations d’idées ou de bons mots, le récit dessine un jeu de piste surréaliste où finalement, artiste ou pas, chacun prend la parole et donne sa version de l’histoire. Que vient chercher dans ces lieux désertés cette créature mystique et ténébreuse qu’incarne Kiala Ogawa, musicienne d’une autre planète à la voix pleine de groove, à l’univers soul, électro et futur jazz ? Quel danger représente-t-elle, sinon celui de faire déborder l’expérience sensorielle du film hors de ses propres limites ?

Plus qu’un souci de cohérence dramatique, c’est d’abord l’imaginaire de ce no man’s land périphérique et de ceux qui l’habitent qui intéressent le cinéaste. Par une mise en scène qui privilégie l’énergie et l’inventivité, Le Boug Doug laisse le champ libre aux acteurs, non professionnels pour la plupart, pour mettre en valeur leur charme, leur humour et leur verve, qu’elle se manifeste par les textes des chansons et leur argot, ou par leurs improvisations. 

Imprégné des univers de Jim Jarmusch, Harmony Korine, de la trilogie Pusher de Nicolas Winding Refn ou de la série The Wire, ce film de fin d’études de l’EnsAD (École nationale des Arts décoratifs) réinvestit avec bonheur un cinéma des marges que l’on pensait à tort lessivé. D’une fraîcheur décomplexée, il laisse aussi entrevoir ce que le cinéma gagnerait à s’inspirer de la scène rap, électro, urbaine, et de toute la culture web alternative, souvent si peu ou si mal représentée.

Olivier Payage

Réalisation, scénario et montage : Théo Jollet. Image : Alexandre Bricas. Son : Paul Kusnierek et Mike Budoncq. Musique originale : OG RASK. Interprétation : Wall$treet 2VS, Buzz, Cyril Boutchenik et Kiala Ogawa. Production : Solab, JTM et l'EnsAD.