“Cerdita” de Carlota Pereda
Goya du meilleur court métrage de fiction 2019.
Ce qui fascine avec Cerdita est avant tout, sans doute, l’option choisie par sa réalisatrice, Carlota Pereda, de ne pas livrer le message “humaniste”, pour le qualifier prestement, que l’on pourrait attendre – ou redouter… Tant de courts métrages de toutes origines sont en effet pavés de bonnes intentions afin de dénoncer racisme, homophobie, antisémitisme, violences sexistes – la liste est étirable – et la grossophobie, du reste souvent minorée parmi toutes ces sources de discrimination, n’est qu’un motif plantant le contexte de ce qui arrive au personnage central du film. Certes, l’écriture n’empêche pas d’entrer en empathie avec Sara, cette jeune fille obèse qui pense simplement se rafraîchir à l’écart des regards dans une piscine isolée en un étouffant après-midi d’été, au cœur de l’Espagne “intérieure”. Mais l’audace du film est réelle et sans malice : chaque spectateur est placé en face de ce qu’il peut penser ou ressentir lorsque les formes débordantes de la jeune femme apparaissent en plein champ, avec ses plis, un ventre qui pendouille et une cellulite que le règne de Photoshop a cru pouvoir effacer de la civilisation post-moderne. La prestation de la comédienne Laura Galán est à cet égard à saluer, en trentenaire jouant une ado supposée en assumant complètement son physique.
Il aurait été facile de faire s’amender celles qui s’en prennent, par les mots et les actes, à la malheureuse, sortes de garces-lolitas venues d’un college movie américain façon Mean Girls (Mark Waters, 2004). Mais la réalisatrice n’a heureusement cure des bons sentiments, souvent si ennuyeux. En lointaine héritière d’un Bigas Luna, elle réoriente sa narration vers de tout autres rivages que ceux d’un happy end qui ferait glorieusement gagner du terrain à la tolérance et à la compréhension des différences supposées.
On sait à quel point le cinéma espagnol s’est, depuis une quinzaine d’années, fait le champion européen du cinéma de genre et Cerdita s’arrime de manière naturelle à ce tropisme en intégrant à la fois la tension des classiques de l’épouvante des années 1970, où l’humain devient le possible gibier de prédateurs dégénérés, et l’implacable cercle vicieux des violences du revenge movie. Même en terre de tradition catholique, on ne tend plus systématiquement l’autre joue, et ce qui se joue dans l’esprit de Sara, humiliée à l’extrême, poussée vers une animalité qui lui – et nous – heurte, se voit résumé par l’ultime regard caméra qu’elle lance à la vie, aux merdeuses du village, à Dieu, à la morale. Ne l’appelez plus jamais “porcinette”…
Christophe Chauville
Réalisation et scénario : Carlota Pereda. Image : Rita Noriega. Montage : David Pelegrín. Son : Nacho Arenas et Edi Osso-Raimondo. Interprétation : Laura Galán, Paco Hidalgo, Elisabet Casanovas, Mireia Vilapuig, Sara Barroso, Jorge Elorza, Alejandro Chaparro et Pascual Laborda. Production : Escuela de Cinema y Audiovisual Comunidad de Madrid (ECAM), Imval Madrid S.L., Instituto de la Cinematografía y de las Artes Audiovisuales (ICAA), Pantalla Partida Producciones.