Cahier critique 07/09/2021

“Brazil” de Mathilde Élu

Camille en a une grosse. Et elle compte bien la garder. Camille a une grosse touffe. Et c’est pas une petite pouf qui va la lui enlever. Un maillot pour la vie, oui. Mais pas trop petit.

Véritable couteau suisse pour le cinéma, Mathilde Élu signe son premier court métrage en tant que réalisatrice. 
Aussi énigmatique que son titre puisse paraître, c’est bel et bien d’un thriller centré sur les poils pubiens dont il est question. 

La jeune Camille se confronte à une esthéticienne zélée, qui s’offusque de son slip un peu trop couvrant et de ce qu’il dissimule. La divergence des deux femmes repose sur une définition de la féminité diamétralement opposée, se retrouvant rapidement au cœur du débat : l’une ne jure que par l’absence de poils, tandis que l’autre aimerait bien garder les siens. C’est donc sous la menace des flashs laser, les lunettes anti UV posées sur le nez et les jambes dénudées, que l’idée de prendre la fuite devient irrémédiablement l’option privilégiée par Camille. 

La manière d'envisager le cadrage, les plans, les gestes et les postures est au cœur du dispositif comique. La réalisatrice donne une importance particulière au champ/contrechamp en s’appuyant sur le jeu de force exercé par le regard, traduisant à la fois le désarroi et les tentatives d’auto-persuasion de la jeune femme face au jugement de la praticienne. Si la mise en scène prête au déclenchement du rire, elle transmet aussi une part d’inconfort en mettant en exergue la réalité des échanges humains et le rôle déterminant qu’ils jouent lors de la construction du rapport à l’autre. 

L’essence du film repose toutefois sur sa légèreté, la protagoniste se trouvant dans une position des plus inconfortables et tentant par tous les moyens de trouver une échappatoire plausible. Tout est un peu exagéré et frôle le cliché, mais quoi de plus vrai qu’un cliché ? Brazil évite cependant la trivialité à laquelle son sujet aurait pu mener et soulève un débat plus implicite : un sexisme ordinaire sous-jacent, teinté d’une bienveillance illusoire, que l’on pourrait croire anodin en apparence. Il dénonce en réalité les injonctions portées aux femmes jusque dans leur intimité, remettant en cause l’image persistante d’une féminité unique dictée par les magazines. La réalisatrice dépeint avec justesse les étapes progressives de déconstruction autour des diktats portés à l’ensemble des femmes, ancrés dans l’imaginaire collectif depuis bien (trop) longtemps. Au fond, le film touche au regard posé sur le corps et affirme l’existence d’une féminité plurielle. 

Léa Drevon 

France, 2018, 11 minutes.
Réalisation et scénario : Mathilde Élu. Image : Élie Girard. Montage : Riwanon Le Beller. Son : Kévin Simon et Gilles Benardeau. Interprétation : Agnès Hurstel et Isabelle Joly. Production : Films Grand Huit.