Extrait
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Fatiya

Marion Desseigne Ravel

2018 - 20 minutes

France - Fiction

Production : Tripode Productions, 31 juin Films

synopsis

Fatiya est une ado de 18 ans, drôle, charismatique et voilée. Cet après-midi, elle a promis à sa cousine, la jolie Yasmine, de la remplacer à un baby-sitting afin que cette dernière puisse aller à un rencard avec un garçon. Accompagnée par Soukaïna, sa meilleure amie, Fatiya se rend au centre commercial où elle doit retrouver Sophie…

Marion Desseigne Ravel

Née à avignon et d'abord formée aux arts du cirque, à l'adolescence, Marion Desseigne Ravel découvre le cinéma à 20 ans en participant à un documentaire sur la lutte des sans-papiers en Île-de-France. Elle entre ensuite à la Fémis où elle découvre le travail avec les acteurs et prend goût à la fiction. Elle y réalise des courts métrages, dont Les murs (2010) ou Voyages en Lémurie (2013), sélectionnés dans plusieurs festivals. 

Une fois sortie de l'école, Marion Desseigne Ravel réalise Les ormes en 2013 et Fatiya en 2019. Ce court métrage a été sélectionné en 2019 au Festival de Clermont-Ferrand, où Lyna Khoudri a reçu une mention d'interprétation au Prix France Télévisions, et au Festival de Vila do Conde.

Impliquée dans le milieu associatif, elle co-fonde en 2009 l’association Combats ordinaires et intervient auprès de structures comme Mille visages ou le Festival international de films de femmes de Créteil. Depuis 2016, elle enseigne également à l'Université Paris 8.

En 2020, Marion Desseigne Ravel termine son premier long métrage, Les meilleures, distribué en salles en mars 2022. Elle enchaîne avec le téléfilm unitaire Le Horla, adapté du roman de Guy de Maupassant et interprété par Bastien Bouillon. Sa diffusion intervient en juin 2023 sur Arte.

 

Critique

Avec comme titre le prénom de son personnage principal, ce court métrage adopte un point de vue rare dans le cinéma français, celui d’une jeune fille voilée. Cadrée de près par la caméra, nous la suivons sous les néons d'un centre commercial, impatiente avant son rendez-vous de baby-sitting, puis dans l’intimité de sa douleur, se cachant dans un recoin sombre après le rejet dont elle fait l’objet. Sa cousine Yasmine lui demande alors d’activer la vidéo sur son téléphone pour la voir, puis lui intime de se dévoiler. Comme en écho, le service de sécurité du magasin exige ensuite qu’elle sorte de sa cachette.

Ainsi poussée dans ses retranchements, Fatiya retourne à la lumière, mais ne se dévoile ni au sens propre ni au sens figuré : elle ne se justifie en effet jamais quant à son choix de porter le voile (“On me prend comme je suis ou on me prend pas !”, dit-elle à sa cousine). Cette absence de justification de sa part ainsi que de celle qui lui refuse le travail est l’une des forces du film : à l’abondance de mots et d’arguments que le port du voile suscite dans les médias depuis des décennies, la réalisatrice oppose la mise en scène d’un rejet immédiat et sans explication, comme instinctif et, s’il est sans brutalité apparente non plus, il est pourtant vécu d’autant plus violemment par la jeune fille.

Le bref échange entre elle et la mère de la petite Lou qui n’explicite donc pas la cause de son revirement, incarne l’impossibilité de se rencontrer ou seulement de dialoguer : ce qui fait partie du quotidien ordinaire de l’une semble une incursion extraordinaire dans celui de l’autre, dès lors qu’il s’agit de garder sa fille. Dans cette confrontation économe de paroles, les regards et les gestes sont importants : entrée dans le champ de la mère et l’enfant par une main tendue pour rendre un jouet tombé à terre, Fatiya refuse ainsi celle qu’on lui tend pour la dédommager de son déplacement inutile.

À la douleur de Fatiya succède finalement sa colère, qu’elle va faire rejaillir sur son amie Soukaïna en lui faisant vivre une expérience similaire de rejet et d’injustice et en lui faisant subir verbalement la violence de l’exclusion qu’elle a ressentie. Pourtant, dans cette double impasse subie puis provoquée par la jeune fille, le film ouvre des brèches : le personnage de la mère se ravise vis-à-vis de Fatiya, de même que cette dernière vis-à-vis de son amie. Comme en écho à ces retournements, c’est sur le toit du supermarché que les deux jeunes filles se retrouvent, lieu qui attire d’abord Fatiya vers le vide, avant de donner à sa réconciliation avec Soukaïna un décor ouvert sur le ciel et l’horizon. Avec ce personnage d’adolescente à la fois forte et vulnérable, Marion Desseigne Ravel n’illustre pas un sujet mais nous donne ainsi à voir l’incarnation d’un conflit social et intime, tout en nuances.

Anne-Sophie Lepicard

­Réalisation : Marion Desseigne Ravel. Scénario : Marion Desseigne Ravel et Laure Desmazières. Image : Lucile Mercier. Montage : Julie Picouleau. Son : Maxime Gavaudan, Benoît Gargonne et Jean-Paul Hurier. Musique originale : Julie Roué. Interprétation : Lyna Khoudri, Mahia Zrouki, Florence Janas, Taslim Jamlaoui et Sami Trabelsi. Production : Tripode Productions et 31 juin Films.