Livres et revues 07/01/2017

Trafic n° 100 : L’écran, l’écrit

La revue fondée par Serge Daney fête son centième numéro à la Cinémathèque française ce lundi 9 janvier, un ensemble consacré à des textes dont la lecture a compté dans le parcours des rédacteurs de la revue.

Il n’y a guère que dans le sillage du 7e art ou, si l’on préfère, dans ses entours, que se déploie une palette de textes selon un spectre étendu qui inclut – et parfois entremêle – culture savante et médias populaires. Plus que pour d’autres arts, un des traits de la cinéphilie – il n’existe pas de « littératurophilie » – tient à l’inclinaison de prolonger le plaisir de la découverte d’une œuvre par l’envie d’en débattre, de lire des textes qui lui sont consacrés jusqu’à ce que, parfois, ce spectateur-lecteur se trouve ainsi pris du désir de se mettre lui-même à écrire.

Pour fêter le centième numéro de la revue fondée par Serge Daney, ses rédacteurs ont proposé à leurs principaux contributeurs plus ou moins réguliers, de revenir sur ce moment où, la découverte d’un article s’est avérée déterminante dans leur approche du cinéma. Ils se sont fixés comme règle de ne pas parler de textes signés d’un membre de la revue et ont fait en sorte qu’aucun auteur ne soit évoqué deux fois, pour éviter la répétition de noms incontournables comme Daney, Bazin, Epstein ou Rivette.

Si cet ensemble dessine une cartographie exemplaire de la réflexion sur le cinéma où chacun pourra butiner et rebondir pour aller y voir, relire ou découvrir ces textes, parfois même des ouvrages signés Edgar Morin, Claude Ollier, Jean Collet, Louis Skorecki, Jean-Claude Biette, Jacques Lourcelles et bien d’autres, il vaut surtout par la particulière émotion autobiographique qui irrigue la plupart des textes.

Certains excèdent le champ du cinéma. Patrice Rollet ravive le rapport qu’entretenait André Breton avec le cinéma pour mieux parler d’un art, riche de potentiels et qui n’a peut-être pas tenu toutes ses promesses. Jean-Louis Comolli fait un détour par Sigmund Freud et ce volume, L’avenir d’une illusion, découverte dans la bibliothèque de son père et qu’il relie à l’illusion cinématographique.

On lira aussi, dans les marges, le dialogue imaginé par Jacques Aumont entre Jean Epstein et un certain Cinéma, ou bien encore l’embarras de Jean-Louis Schefer, incapable de répondre à la commande, laissant entendre que le cinéma a pris une part trop lointaine dans sa vie, mais n’en livrant pas moins quelques réflexions judicieuses sur les rapports entre la Bible et le cinéma hollywoodien. L’ensemble s’achève par deux lettres de Jean-Luc Nancy, sollicité par Raymond Bellour, où il finit par rappeler que « le film a le dernier mot – comme un tableau, comme une musique – dans une suspension de tout discours. »

Certes.

Fabrice Revault, partant du texte de Roland Barthes, « En sortant du cinéma », finit de même par avouer ne plus guère supporter la glose sur le cinéma. « D’autant qu’elle est devenue omniprésente, dans de multiples institutions et d’innombrables médias, et de façon encore amplifiée par le global village informatique. Non sans propos de qualité surnageant ici ou là, mais au sein d’un raz-de-marée dont j’évite qu’il me submerge. Il m’arrive régulièrement de me dire en mon for (mon faible) intérieur que le silence serait désormais la seule attitude juste. Car les films, oui, se suffisent à eux-mêmes. Et car le discours risque fort de noyer sous son béton la poésie des œuvres, s’il n’est pas soulevé par la passion amoureuse – c'est-à-dire : osé, voire transgressif, et cependant fragilisé, voire tremblant. (Ceci valant pour le mien, qui n’a pas été toujours ainsi vibrant.) »

Pour autant, dans cette livraison anniversaire de Trafic, on lit avec une passion non démentie – mais sans doute coupable –, l’hommage de Jean-Paul Fargier à Jean Collet, la découverte décisive pour Marcos Uzal du long et parfois déroutant texte de Barthélémy Amengual, sous le signe de l’échec, consacré à Jean Eustache, la mise au point par Jean Narboni à propos du fameux « Montage interdit » d’André Bazin, l’importance pour Jonathan Rosenbaum de Praxis du cinéma, de Noël Burch, l’art avec lequel Luc Moullet revient sur le « Une certaine tendance du cinéma français », de François Truffaut, etc.

Il n’est pas exclu d’imaginer qu’un jeune cinéphile, parcourant ce numéro 100 de Trafic, trouve, dans ces textes, des lignes qui éveilleront en lui un désir comparable à celui que les contributeurs de cet ensemble ont généreusement partagé. La cinéphilie peut être encore contagieuse.

Jacques Kermabon

 

« L’écran, l’écrit », Trafic, n° 100, hiver 2016, P.O.L, 21 euros.

Lundi 9 janvier 2017, la Cinémathèque française a fêté le numéro 100 de Trafic avec les projections de La preuve par Prince, de Serge Daney, 1988, 6 min; Conversation nord-sud, Daney/Sanbar, de Simone Bitton et Catherine Poitevin, 1998, 46 min; Ginger et Fred, de Federico Fellini,1985, 127 min.

Le 26 février 1992, à l'invitation de Dominique Païni, son directeur d’alors, la Cinémathèque française fêtait le premier numéro de Trafic. Seulement quelques images et quelques voix. Avec Jean-Claude Biette, Michel Piccoli, Jacques Kermabon, A.S. Labarthe, Serge Le Péron, Jean-Michel Frodon, Emile Breton, Leslie Kaplan, Serge July, Danièle Dubroux, Noel Simsolo, Jean-Pierre Touati, Paul Virilio, Domnique Païni, Régis Debray, Emmanuel Carrère, Sylvain Roumette, Pierre-André Boutang, Bernard Faucon, Nini Crépon, Laurent Marie Joubert, Emmanuel Carrère, Sylvie Pierre, Michel Manière, Frédéric Bonnaud, Guy Cosson, Jacinthe Hirsch, Serge Toubiana, Jean Douchet, Jean-Louis Schefer, François Ode, Christophe Mercier, Jérôme Beaujour, Jean-Paul Hirsch (...)