Livres et revues 12/05/2018

Jeunet en mode Perec

Alors que l’exposition qui lui est consacrée à la Halle Saint-Pierre à Paris, ainsi qu’à son complice Marc Caro, se poursuit jusqu’au 31 juillet, Jean-Pierre Jeunet vient de publier un petit ouvrage atypique.

Si le titre peut apparaître peu engageant, il a le mérite d’être clair. Non, Jean-Pierre Jeunet n’a pas écrit ses mémoires, comme tant de cinéastes sont, à un certain âge, sollicités pour le faire. Non, bien sûr : encore trop jeune pour cela, le voilà qui signe plutôt un livre de souvenirs et d’anecdotes, composé de la même manière qu'il raconte certaines de ses histoires : par bribes, par éclats, avec une légèreté bienvenue.

En un inventaire chronologique où l’anecdotique le dispute à la révélation bien sentie, Jeunet invite le lecteur dans les coulisses de ses films sans jamais déborder, sinon dans le premier chapitre (l’enfance, la formation), sur la vie privée ou la biographie. À la lecture, l’intérêt est en conséquence le plus souvent proportionnel à celui que l’on porte aux films du cinéaste, les récits des expériences de tournage les plus compliquées se révélant souvent les plus passionnants. Ainsi faut-il mesurer, 25 ans après, l’ambition que portait La cité des enfants perdus à l’aune de la réception glaciale du film à Cannes en 1995. Ou encore lire les précieuses pages consacrées à Alien Resurrection (1997), où le cinéaste revient sans la moindre acrimonie (contrairement à nombre de ses collègues français) sur une expérience hollywoodienne aussi épuisante que formatrice.

S’il s’attarde sur quelques moments difficiles, s’il règle parfois quelques comptes (avec des critiques, avec Harvey Weinstein…), l’intérêt du livre vient d’ailleurs : de l’évocation de ses collaborateurs ou de ce qui, précisément, rebute certains dans son cinéma, à savoir l’imaginaire qu’il convoque, l’évocation de ses marottes (Carné/Prévert), le récit de petites épiphanies (la découverte d’Il était une fois dans l’Ouest), ou encore la description empreinte de nostalgie d’un artisanat d’avant le numérique, le récit de ses premières expériences dans la BD ou derrière un banc-titre dans les années 70 (alors qu’il se plait aujourd’hui tout autant à explorer les nouvelles technologies, comme en atteste son dernier long métrage en date).

Volontiers peu orthodoxe, le cinéaste peut être aussi disert sur une publicité réalisé pour Chanel que pour un ambitieux projet inachevé (Life of Pi, plus tard adapté par Ang Lee), manifestant ainsi à chaque page une gourmandise et une curiosité qui, quel que soit l’œuvre évoquée, nous obligent à dépasser les sentiments de “J’aime/J’aime” pas (pour reprendre le gimmick de Foutaises) qui nous agitent souvent face à ses films. Dépasser le cercle des fans, intéresser les autres, c’est bien là l’étonnante réussite de ce livre aussi modeste que précieux.

Stéphane Kahn


Je me souviens…  (500 anecdotes de tournage)
de Jean-Pierre Jeunet, éditions LettMotif, 260 pages,
illustrations de Charlie Poppins, 9,90 euros en broché ou 22 euros en cartonné.

Un badge “Amélie” inédit sera offert pour toute commande sur le site de l'éditeur.

Photo de Jean-Pierre Jeunet : © Nicolas Auproux.