Festivals 30/07/2018

Trois jours à Vila do Conde

Pour sa 26e édition, le festival Curtas de Vila do Conde, toujours aussi éclectique et pléthorique, a consacré “La chute”, de Boris Labbé. Bref aperçu et impressions.

Parmi les moteurs qui peuvent animer les festivals, on sent assez clairement que, pour l’équipe de Vila do Conde, le plaisir de la découverte et le goût du partage demeurent déterminants et ceux-ci ne les guident pas uniquement pendant les quelques jours de juillet de cette manifestation. Parmi les activités plus pérennes qu’ils organisent, les installations dans la galerie d’art qu’ils ont créée, Solar, réunissent cette année des installations de Lois Patiño, Natalia Marín, Carla Andrade, Laida Lertxundi, Inés García, Samuel M. Delgado et Helena Girón. Le seul énoncé de ces noms confirme assez clairement leur volonté de mettre en avant la jeune création et la porosité, l’hybridation entre les arts visuels. On se souvient de Montaña en sombra, de Lois Patiño, prix spécial du jury Labo à Clermont en 2014, composition très graphique de skieurs évoluant telles des fourmis sur des dénivelés ombrés de montagnes blanches et noires. Avec Fajr, découvert au festival de Rotterdam en 2017, le réalisateur espagnol passe des reliefs montagnards à ceux du désert marocain. Le film était en compétition l’an passé à Vila do Conde et l’installation proposée à Solar en décomposait les éléments sur un mode installation (plusieurs écrans et son ambiant, des textes en arabe qu’on interprète comme religieux) sans qu’on puisse déterminer ce que le spectateur y gagnait ou y perdait en comparaison avec la projection frontale dans une salle de cinéma.

Samuel M. Delgado et Helena Girón, coréalisateurs de Plus ultra, en compétition, évocation métaphorique de la volonté colonisatrice de l’Espagne, ont scénographié leur film, sous le titre No hay tierra más allá, selon un dispositif de projection en 16 mm pivotante, dans lequel le faisceau lumineux transperce un cube de plexiglas rempli d’eau jusqu’à figurer littéralement, par moments, la dimension spectrale de cette lumière en faisant apparaître comme des bribes d’un arc-en-ciel sur la paroi de la salle d’exposition. L’effet en est d’autant plus troublant que l’un des personnages principaux de ce film est une momie, la momie n° 6 du Musée Canario, situé à Vegueta, sur Grande Canarie, une des îles de cet archipel conquis par les Espagnols au XVe siècle. Nous ne serions pas loin de penser que le mouvement et la densité de l’installation gagne en étrangeté et concentre mieux leur propos que la projection sur un seul écran.

On le sait, la perception des installations demeure aléatoire. On peut ainsi descendre dans la salle où est projeté Winterreise, d’Inés García, arriver à un moment où l'un des deux écrans diffuse une image grise vaguement zébrée de filaments noirs et l’autre uniquement du blanc, et reprendre assez vite les escaliers vers une autre œuvre ou le soleil extérieur. On n’aura pas perçu combien Winterreise suppose de demeurer un bon moment pour se laisser bercer par les vers de Wilhelm Müller (ceux-là même qui ont été mis en musique par Schubert), diffusés via un casque audio connecté à une platine vinyle, tout en contemplant des paysages enneigés, des images fragiles d’une pellicule parfois brouillée, mais diffusée ici en numérique.

Ces installations ont été réunies par José Manuel López, critique, fondateur de la revue Tren de sombras, sous l’intitulé New Spain, pour dire la mise en perspective d’une jeune création hispanique, mais dont les rapports avec l’Espagne peuvent être indirects ou lointains.

No hay tierra más allá, de Samuel M. Delgado et Helena Girón

Winterreise, d’Inés García

Fajr, de Lois Patiño

L’espace Solar, dans une magnifique bâtisse en larges pierres de granit, mérite le détour. Vila do Conde, station balnéaire de l’Atlantique, se trouve à quelques kilomètres au nord de Porto, juste avant Póvoa de Varzim. L’exposition dure jusqu’au 1er septembre.

Mais le festival, lui, ne durait que quelques jours, riche de bien des programmes dont ses compétitions internationale, nationale et expérimentale. Ce frayage avec l’art contemporain, à l’œuvre dans l’espace Solar, correspond assez bien avec la conception, essentiellement plastique, de cette dernière section, dans laquelle figuraient en bonnes places des élaborations aux tendances géométriques et des productions de found footage, pratique toujours très vivace.

Il y a toujours quelque chose de désobligeant à évoquer en quelques mots la sélection d’un festival. Ne serait-ce que dans cet art du found footage d’accommoder des images trouvées ou cherchées dans les films du passé, le nouveau film de Christoph Girardet et Matthias Müller, Screen, sans doute l'un de leurs meilleurs, mériterait à lui seul un long développement. On pourrait aussi se pencher avec la même attention sur Chama, du Finlandais Sami van Ingen, qui joue, au ralenti, de la surface d’une pellicule abîmée comme d’une peau qui palpite, respire, se désagrège, ou bien encore évoquer Edge of Alchemy, de Stacey Steers (États-Unis), une utilisation ludique quoiqu’un brin décorative, de vedettes du muet comme Mary Pickford et Janet Gaynor.

Chama, de Sami van Ingen

Edge of Alchemy, de Stacey Steers

Le choix du jury de la compétition internationale de hisser en haut du podium l’étourdissant La chute, de Boris Labbé, récompense à la fois le penchant plastique des sélectionneurs et l’art de l’animation. Le film est inspiré du Jardin des délices, le triptyque de Jérôme Bosch conservé au Musée du Prado de Madrid et dont le réalisateur a eu le temps de s’imprégner quand il était en résidence à la Casa de Velásquez. Le public, lui, a voté pour un autre film d’animation, Ce magnifique gâteau !, d’Emma De Swaef et Marc James Roels. Ces deux courts métrages avaient été découverts à Cannes, nous les avions évoqués à l’occasion du Festival d’Annecy.

Fictions et documentaires confirmaient tout autant la belle tenue de la sélection du festival Curtas ; quasiment tous les films que nous y avons découverts lors des quelques jours de notre présence sur le festival auraient mérité d’être commentés. On aura le détail des prix ici.

À côté des sections compétitives, la manifestation offrait de nombreux à-côtés comme la projection du long métrage Un couteau dans le cœur (Prix Jean-Vigo 2018). À cette occasion, Yann Gonzalez, un habitué de la compétition de Curtas, a répondu à la proposition d’une carte blanche, qui réunissait des raretés du cinéma underground, projetées dans leurs formats pellicule d’origine, comme Chofuku-ki (Butterfly Dress Pledge) de Shiji Terayama (1974) ou Loads de Curt McDowell (1985).

Parmi les excellentes surprises hors compétition, nous ne résistons pas à mentionner le nouvel opus d’Eugène Green, Como Fernando Pessoa salvou Portugal, une farce filmée avec une rigueur toute bressonienne, qui raconte comment l’écrivain portugais mit sur le compte d’Álvaro de Campos, un de ses hétéronymes, le slogan que son patron, le sachant poète, lui avait demandé de créer pour introduire le Coca Cola au Portugal. La formule, « Primeiro estranha-se depois entranha-se », dont une traduction approximative comme « d’abord étrange, puis irrésistible », ne rend pas la particulière euphonie, pour convaincant qu’il soit, n’a pas réussi à séduire la société portugaise qui vit dans ce breuvage une invention diabolique – on voit un prêtre décapsuler une bouteille de coca avec une croix avant de tenter un exorcisme. Et le patron de Pessoa de conclure qu’il a commis là la première erreur de sa vie en pensant marier poésie et publicité, alors qu’elles sont irréconciliables. Aussi incroyable qu’elle paraisse, il semble que cette histoire soit véridique. Eugène Green s’en est emparé à cœur joie. Cette projection au festival de Vila do Conde était une première. Nous devrions avoir l’occasion, là aussi, de revenir sur cette coproduction belgo-franco-portugaise.

Jacques Kermabon

Como Fernando Pessoa salvou Portugal, d’Eugène Green

 

Chofuku-ki (Butterfly Dress Pledge), de Shiji Terayama (1974)