Festivals 15/07/2017

Les nouveaux portraits d’Alain Cavalier à La Rochelle

Comme chaque année début juillet, les festivaliers ont rempli les salles de La Rochelle et, de film en film, voyagé entre les tons, les temps et les espaces.

Les spectateurs ont une nouvelle fois répondu présents – plus de 90 000 entrées – pour leur cure estivale de cinéma du 30 juin au 9 juillet à La Rochelle. La manifestation a ouvert sa 45e édition avec Barbara, de Mathieu Amalric, Prix Jean-Vigo 2017, et s’est achevée avec Léonor Serraille et sa Jeune femme, Caméra d’or à Cannes, en présence de l’incomparable Laetitia Dosch, son interprète principale.

Entre temps, chaque festivalier pouvait composer son programme au gré de ses envies ou des hasards, retrouver Laurel et Hardy dans une série de courts métrages – essentiellement muets – proposés par Serge Bromberg, s’immerger dans l’œuvre de Tarkovski – en copies neuves –, parcourir un bon pan de l’œuvre d’Alfred Hitchcock ou de celle de Volker Schlöndorff, suivre les intégrales Laurent Cantet, Katsuya Tomita ou Ruben Mendoza, se familiariser, en seize films, avec le cinéma israélien contemporain, et découvrir nombre d’avant-premières de films récents et d’œuvres du patrimoine fraîchement restaurées.

Il n’y a pas que les spectateurs qui demeurent fidèles au Festival de La Rochelle ; venu en 2015 présenter Le Caravage, Alain Cavalier offrait cette année Six portraits XL, en première française, quelque mois après leur présentation à Visions du réel de Nyon où, nommé Maître du réel, il avait aussi livré une masterclass.

On se souvient de ses courts portraits de femmes filmées dans l’exercice de leurs professions (matelassière, fileuse, brodeuse, canneuse, repasseuse…) brossés chacun en une seule journée. Filmeur impénitent, Cavalier a aussi engrangé au fil des ans, parfois sans véritable but précis, des moments partagés avec des connaissances anciennes ou des rencontres de circonstances. C’est en puisant à cette source qu’il avait composé Vies (2000) et, propose, aujourd’hui, ces Six portraits XL (49 minutes chacun), une femme et cinq hommes : Jacquotte, Daniel, Guillaume, Philippe, Bernard et Léon.

Il n’est pas facile de décrire l’intensité de l’émotion qui nous étreint, inversement proportionnelle à la modestie des moyens mis en œuvre. Cavalier annonce un budget total de 72 000 euros – lui-même n’étant pas payé. Certes, il y a l’empathie dans laquelle baigne ce qui se noue entre le filmeur et les filmés, l’estime réciproque que l’on sent palpable, l’amitié souvent qui les lie, les capacités d’émerveillement de Cavalier face aux détails infimes que capte sa caméra, l’attention portée à des bribes d’existence comme autant de miroirs qui nous sont tendus. Hormis Guillaume (Delcourt), le boulanger, saisi à la croisée des chemins entre sa boutique parisienne qu’il a quittée et celle de Rueil-Malmaison dont il prépare l’ouverture, tous ont atteint l’âge des bilans et, si ce n’était une certaine allégresse que ces portraits ont en partage, il s’en faudrait de peu pour qu’ils sonnent comme des vanités.

Jacquotte (Jacqueline Pouliquen) revient d’année en année dans sa maison d’enfance où, en dépit des transformations du bâtiment, elle conserve des meubles et d’autres objets comme autant de traces d’un passé révolu.

Daniel (Isoppo) aurait pu être cinéaste – le portrait inclut un extrait d’un film qu’il a réalisé –, il a surtout été comédien, on le découvre dans son intérieur avec ses TOC et sa passion pour les grattages de la Française des jeux. Gérard Courant lui avait consacré un Cinématon en 2012.

Philippe (Labro), saisi dans la préparation d’énièmes entretiens pour D8, se révèle encore habité par le trac et par cette insatiable curiosité qui tient les journalistes en haleine.

Bernard (Crombey), comédien – il était un des protagonistes du Plein de super (1976) –, après des années sans gloire, a trouvé une honnête vitesse de croisière en sillonnant la France avec un monologue qu’il a écrit et qui fait salle comble. Le portrait s’étale sur plus d’une dizaine d’années. Bernard prend de l’assurance et sa petite fille grandit.

Léon (Maghazadjan), cordonnier fort réputé et populaire dans son quartier, ferme sa boutique. Cavalier pose son regard sur son dernier tour de piste professionnel au cours duquel ils sont nombreux à venir témoigner de leur amitié.

En véritable orfèvre, Cavalier orchestre ces moments suspendus, prélevés à même la spirale du temps, selon une dramaturgie qui, pour chaque portrait, concilie répétitions et variations, harmonise, sans aucun systématisme, l’unité du propos (un personnage, un lieu, un temps) et une certaine dispersion. Il a aussi l’élégance de nous faire croire, eu égard à la modestie de ses outils – une simple caméra vidéo surmontée d’un micro –, que cet art de rendre sensible la vibration du monde, la pulsation implacable du temps, d’allier un certain art de la joie avec l’ombre de la mélancolie, est à la portée de tous. Il n’est pas illégitime d’en douter.

Jacques Kermabon

 

Jaquotte

 

Guillaume

 

Philippe

 

Bernard

 

Daniel

 

Léon