En salles 27/06/2018

Un couteau dans le cœur

Présenté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes et récent lauréat du Prix Jean-Vigo du long métrage (ex-aequo avec “Shéhérazade” de Jean-Bernard Marlin), “Un couteau dans le cœur” est à voir cette semaine au cinéma.

Un couteau dans le cœur, le deuxième long métrage de Yann Gonzalez, ne dépare pas en regard de ses courts, continuant de dessiner, douze ans après les premiers pas du très expérimental et très envoûtant By the Kiss, un univers d’une cohérence formelle et thématique trouvant ici un achèvement saisissant.

Après Les rencontres d’après minuit (2013), un récent retour au court métrage avec Les îles a sans doute préparé, ou du moins permis au cinéaste de patienter avant le tournage d’un second long annoncé depuis quelques années déjà. De fait, les deux films entretiennent des liens manifestes, Les îles frayant tout autant avec le cinéma queer et une sexualité très frontale qu’avec le cinéma de genre et ses visions. Un cinéma fantastique que Gonzalez affectionne et dont il fait le terreau naturel de son deuxième long métrage.

Après Julien Doré qu’il dirigeait dans une adaptation du Joueur de flûte de Hamelin (Les astres noirs, son autre film fantastique, donc), c’est une chanteuse populaire – Vanessa Paradis – qu’il invite à risquer son image dans un thriller où le surnaturel le dispute au mélodrame.

Il ne s’agit pourtant pas, entre l’un et l’autre, de choisir, mais plutôt de tenter une alchimie féconde : le thriller se nourrissant du romantisme premier degré exacerbé qui, depuis Je vous hais petites filles, imprègne le cinéma de Yann Gonzalez, tout autant que les très précises références au giallo nourrissent un fétichisme de cinéphile réussissant l’exploit de n’être jamais morbide, jamais stérile, jamais gratuit.

Moins présent jusqu’alors – ou juste par petites touches dans le très pop Entracte ou dans Les rencontres d’après minuit – l’humour, enfin, ouvre le cinéma de Yann Gonzalez à une dimension plutôt inédite, qui doit beaucoup à Nicolas Maury, déjà inoubliable ici en acteur de pornos gays de la fin des années 1970. Aux côtés d’autres habitués des films de Yann Gonzalez (à l’image, au son, à la musique ou au montage), l’actrice Kate Moran fait évidemment le lien avec des courts métrages qu’elle habitait littéralement. Symboliquement monteuse dans Un couteau dans le cœur (au confluent d’images – et, partant, d’une filmographie – qu’elle organise), elle est aussi celle qui donne son titre au film, celle vers qui se porte le désir impérieux de l’héroïne incarnée par une Vanessa Paradis étonnante. C’est en mêlant les extrêmes (deux actrices dissemblables, des genres a priori inconciliables : la candeur et l’ironie, le réalisme et l’artifice) qu’Un couteau dans le cœur trouve une voie inédite, incroyablement stimulante, comme l’est, depuis douze ans, le cinéma inclassable de Yann Gonzalez en France (et ailleurs)…

Stéphane Kahn

Filmographie Yann Gonzalez

By the Kiss (2006, 5 min)
Entracte (2007, 15 min)
Je vous hais petites filles (2008, 43 min)
Les astres noirs (2009, 15 min)
Nous ne serons plus jamais seuls (2012, 10 min)
Land of my Dreams (2012, 20 min)
Les rencontres d'après minuit (2013, 93 min)
Les îles (2017, 23 min)
Un couteau dans le cœur (2018, 100 min)


Les îles sera diffusé en salles par UFO Distribution en compagnie de deux autres courts métrages, After School Knife Fight de Caroline Poggi et Jonathan Vinel et Ultra pulpe de Bertand Mandico, au sein d'un programme intitulé Ultra rêve, à partir du 15 août prochain.  

À lire également en ligne notre entretien avec le réalisateur ici.

Photos : © Ella Herme.