En salles 18/04/2017

Maurice Pialat et François Reichenbach, de la banlieue à la campagne

"L’amour existe" et "La douceur du village" reviennent sur les écrans dans un programme commun. Signés respectivement Maurice Pialat et François Reichenbach, entre ville et campagne, ces deux moyens métrages nous arrivent tout droit de la France des trente glorieuses.

On ne se lasse pas de revoir le chef-d’œuvre de Maurice Pialat, L’amour existe, ce portrait de la banlieue parisienne de la fin des années 1950, un espace urbain couleur gris ennui et aux horizons bouchés. On se souvient du final en majesté et de la voix qui égrène : « Des années et des années d’hôtels, de garnis. Des entassements à dix dans la même chambre. Des coups donnés, des coups reçus. Des oreilles fermées aux cris. Et la fin du travail à l’heure où ferment les musées. Aucune promotion, aucun plan, aucune dépense ne permettra la cautérisation. Il ne doit rien rester pour perpétrer la misère. » Quittant la banlieue, la caméra s’arrête sur la Marseillaise sculptée, sur l’Arc de Triomphe, « La leçon des ténèbres n’est jamais inscrite au flanc des monuments » et cadre plus particulièrement la main levée : « La main de la gloire qui ordonne et dirige, elle aussi peut implorer. Un simple changement d’angle y suffit. »

Belle idée d’associer, dans un même programme, L’amour existe et La douceur du village, de François Reichenbach, dans des copies tout récemment restaurées. Le film de Pialat avait été primé à Venise en 1961, celui de Reichenbach fut Grand prix du court métrage à Cannes en 1964.

On pourrait sans doute multiplier le jeu des échos ou des oppositions entre un film urbain mélancolique et virulent et l’autre, campagnard, apaisé, réconcilié. Courbevoie et ses environs dans L’amour existe c’est l’enfance de Pialat. Loué, dans La douceur du village, est une commune de la Sarthe, où François Reichenbach, né à Neuilly-sur-Seine, se serait arrêté un jour pour y déjeuner.

Reichenbach est un peu oublié aujourd’hui, à telle enseigne qu’on se sent obligé de préciser, à propos de ce moyen métrage, que le montage en a été effectué par Chris Marker. Ils ont d’ailleurs réalisé ensemble en 1968, La sixième face du Pentagone, documentaire sur une manifestation d’étudiants américains contre la Guerre du Vietnam, visible sur Brefcinema.

S’il a d’abord étudié la musique et écrit des chansons, notamment pour Édith Piaf, François Reichenbach a signé un grand nombre de courts et longs documentaires, en particulier liés à ses premières activités. L’amour de la vie – Arthur Rubinstein obtint l’Oscar du meilleur documentaire en 1970. Il a par ailleurs participé à Vérités et mensonges d’Orson Welles (1973) et on lui doit une comédie écrite par Raymond Devos, La raison du plus fou (1973), un road movie fantaisiste interprété par Devos lui-même et Alice Sapritch, Jean Carmet, Marthe Keller, Paul Préboist, Lino Ventura, Pierre Richard et tant d’autres. Reichenbach fut un éclectique.

La douceur du village brosse, en quelques leçons égrenées par l’instituteur du village à l’accent prononcé (tout un art oublié de rouler les « r »), un portrait de la vie à la campagne : les vaches, les saisons, les mariages, les enterrements… Les enfants vont cueillir des coquelicots, apprennent le solfège, jouent de la musique, une passion de cet enseignant qui dirige la fanfare municipale. La guerre n’est pas si lointaine, le monde paysan demeure une mode de vie déterminant. Tout est d’époque : la Peugeot 403, les blouses des écoliers, les slips des garçons, la dictée empruntée à Jules Renard (titrée « Un bon facteur »), les comices agricoles…

L’amour existe et La douceur du village aussi. Les Trente glorieuses avaient encore quelques années devant elles.

Jacques Kermabon

L’amour existe et La douceur du village en salles à partir du mercredi 19 avril 2017.