En salles 29/09/2017

Insolites "Fantasmes et fantômes" : rencontre avec Noël Herpe

Distribution originale que celle de ce programme réunissant trois segments composant un long métrage d’une heure dix-sept de durée, qui sera montré sur grand écran à L’Entrepôt, à Paris, à partir du 4 octobre avant d’être disponible en ligne, en feuilleton, sur le site de pointligneplan, spécialisé dans les expérimentations filmiques de tout poil. Nous avons voulu en savoir plus auprès de celui qui est l’homme-orchestre de ce projet atypique.

On vous connaît bien comme critique, historien du cinéma et commissaire d’expositions, comment situez vous par rapport à cela votre activité de réalisateur – et d’acteur – sur ce triptyque Fantasmes et Fantômes en particulier ?

En vérité, mes premières casquettes juvéniles ont été celles d’un acteur et d’un metteur en scène de théâtre (amateur). Je me projetais volontiers, alors, dans un certain répertoire théâtral du XIXe ou du XXe siècle (de Labiche à Montherlant), pour y vivre des vies imaginaires, des situations spectaculaires. Ce rapport inassouvi à la fiction s’est mis en sommeil quand je suis devenu un spécialiste d’objets cinématographiques plus nobles – comme pour donner une raison sociale à mes passions.

Et puis, j’ai écrit un bouquin intitulé Mes scènes primitives, où j’ai mesuré combien ces situations, ces personnages de mon adolescence continuaient de m’habiter. C’est le moment où, grâce au soutien de quelques amis, je venais de réaliser un film intitulé C’est l’homme, qui était aussi une manière d’exorciser mes fantômes. Il m’a paru dès lors naturel d’utiliser le cinéma (et la connaissance un peu théorique que j’en avais acquise) au service d’une vérification de mes chimères. Seul le cinéma, m’a-t-il semblé, était capable de matérialiser cette scène inconsciente, si longtemps restée lettre morte.

Le style propre à ces trois segments est a priori radicalement différent de C’est l’homme, réalisé en 2009. Quelle continuité y voyez vous cependant ? Comment caractériseriez-vous l’univers plastique que vous avez souhaité mettre en place ici ?

La continuité, c’est le refus du réalisme, la tentative à chaque nouveau film de rendre compte d’une vision. Mais cette vision n’est pas forcément la mienne, ce sont souvent des images qui me traversent et qui m’ont été léguées par des artistes que j’admire. Il y a ainsi du Méliès dans le premier sketch de Fantasmes et fantômes (Mentons bleus !, photo de bandeau), comme il y a du Hitchcock dans le second volet (Au téléphone). La difficulté, ensuite, c’est de ne pas crouler sous les références, péché mignon de l’historien du cinéma que je suis.

C’est pourquoi ma rencontre avec le jeune peintre Cyril Duret a été décisive. En fabriquant, pour chacun de ces épisodes, un décor original (carte postale où viennent s’incruster les acteurs, portes et fenêtres qui les dissimulent, murs blancs qui les dévoilent), il m’a aidé à inventer des bulles fictionnelles, des micro-scènes où se conjuguent ma nostalgie du premier degré et sa conscience de la forme.

En quoi le théâtre de Courteline ou celui d’André de Lorde mérite-t-il selon vous d’être redécouvert ?

Ces trois pièces, j’ai choisi de les adapter au commencement d’un projet – qui est toujours le mien : celui de porter à l’écran une série de pièces de théâtre aimées, et plus ou moins oubliées. Dans ce cadre, choisir Mentons bleus ! ou Au téléphone (photo ci-contre) avait quelque chose de programmatique. Ce sont des œuvres qui parlent (avec une grande qualité et précision d’écriture) du fonctionnement de l’imaginaire.  

Qu’il s’agisse d’un comédien racontant ses improbables succès, ou d’une maison hantée par d’invisibles menaces, la parole, chez De Lorde comme chez Courteline, est seule à porter une affabulation qu’on ne voit pas. C’est ce qu’il y a de plus anti-cinématographique a priori, mais c’est bel et bien ce paradoxe qui m’intéresse. Car dans le hors-champ où se maintient l’action (et que j’ai renforcé autant que possible), des figures filmiques se profilent : le suspense de Feuillade, la logorrhée de Guitry… J’aime cette idée d’une réinvention du cinéma à partir des conventions théâtrales.

Comment s’est construite la structure du film, avec cette voix off sur des fonds noirs entre chaque court métrage ?

Chacun de ces “levers de rideau” (comme l’on disait en 1900) ayant trouvé à tour de rôle son avatar cinématographique, j’ai eu envie de les rassembler pour pouvoir passer à autre chose : à savoir un long métrage, que je suis en train de préparer d’après une pièce en trois actes. J’ai aussitôt pensé à une voix dans le noir, qui présenterait les trois histoires. Souvenir, sans doute, du Plaisir d’Ophuls qui donne génialement à voir l’émergence de l’image dans les ténèbres du hors-champ. Désir, aussi, de ne pas ajouter aux images hétérogènes déjà montées de nouvelles images, qui seraient venues les brouiller.

Surtout, cela m’a permis obscurément de relier le film à mon travail d’écrivain. Cela devenait (via un narcissisme que j’assume sans vergogne) “les rêves de Noël Herpe”, datés et scandés comme dans un journal intime. Chacun des personnages devenait une projection de moi-même, une virtualité grotesque ou effrayante. Mon côté bonimenteur, mon côté paranoïaque, mon côté cinglé… C’est aujourd’hui ce qui m’amuse et me trouble le plus : tout ce que j’ai pu mettre d’autobiographique, sans m’en rendre compte, dans ces récits empruntés à d’autres.

Votre titre générique et le thème du rêve que vous revendiquez évoque le surréalisme, que le dernier épisode tutoie à travers le thème de la folie notamment. Quel est votre rapport personnel à cette école artistique, poétique et cinématographique ?

Jusqu’à une période récente, le surréalisme était contenu pour moi dans la figure de Buñuel (le plus essentiel à mes yeux des artistes surréalistes, et qui m’a inspiré dans une vie antérieure pas mal de gloses fiévreuses). J’ai beaucoup pensé à Buñuel en filmant le troisième sketch : Le système du Docteur Goudron. Au fait que pour filmer des situations extraordinaires, il vaut mieux adopter un point de vue ordinaire, lisse, presque trop normal.

Entre-temps, j’avais redécouvert les dramatiques de Jean-Christophe Averty –dont le surréalisme est plus tordu, et s’appuie sur une représentation malaisante des artifices de fabrication. C’est dans cet esprit (à ma modeste échelle) que j’ai conçu Mentons bleus !, où les acteurs sont comme enfermés dans l’écrin/tombeau de la carte postale, prétendant à l’existence et renvoyés à leur néant. De ce prologue de mes Fantasmes jusqu’à l’épilogue (provisoire) qu’est le Docteur Goudron (photo ci-contre), il y a donc une évolution vers un style d’écriture plus “réaliste”… Mais c’est un mot, vous l’avez compris, que je n’aime pas beaucoup.

Propos recueillis par mail par Christophe Chauville

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