DVD 21/05/2017

Les rêves et cauchemars de Bellocchio

Le long métrage qui fit l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs 2016 vient d’être édité en DVD. Et ce nouveau chef-d’œuvre que l’on doit mettre à l’actif de Marco Bellocchio est accompagné d’un court métrage qui date également de l’an dernier.

Rétrospectivement, on se demande bien comment Fais de beaux rêves a pu ne pas trouver de place en compétition officielle cannoise en 2016 : il était de très loin supérieur à beaucoup de films qui y figuraient et aurait sans nul doute pu figurer au palmarès. Mais il est bien trop tard et absolument vain de s’attarder là-dessus, l’édition DVD du film permettant d’en mesurer toute la dimension, croisant plusieurs obsessions du réalisateur italien, dans son rapport à la mère d’abord, puisque c’est le centre névralgique du récit.

Un journaliste sportif de La Stampa – campé par l’immense Valerio Mastandrea, si peu (re)connu chez nous, et c’est encore une sacrée injustice – a perdu la sienne durant son enfance, de façon mystérieuse et cela l’entrave sérieusement, entre cauchemars récurrents et incapacité à s’engager lui-même dans une relation amoureuse (jusqu’à une scène de libération – provisoire – épatante, sur un dance-floor et les notes de l’ébouriffant Surfin’Bird des Trashmen).

Le lien complexe à la mère avait déjà été fréquemment abordé par Bellocchio, évidemment, lui qui voulait tuer la sienne, comme il ne s’en est jamais caché et le motif réapparaît d’ailleurs, via un personnage secondaire mais primordial dans ce film adapté d’un livre autobiographique que le cinéaste a accepté de porter à l’écran visiblement sans grande conviction au début ! Le résultat est néanmoins impressionnant, et touche même souvent au sublime, osons l'écrire... Après Le sourire de ma mère et Buongiorno, notte, voilà en tout cas un troisième très grand film au XXIe siècle (et même si La belle endormie n’était “pas mal” non plus) pour un artiste désormais nettement septuagénaire (pour rappel, il est né en 1939).

La (bonne) surprise de l’édition du film par Ad vitam, c’est le court métrage Pagliacci proposé en supplément (photo de bandeau). Ce court métrage lui aussi présenté en 2016 dans un grand festival, à savoir la Mostra de Venise et sa Semaine de la critique, aborde à son tour les thèmes obsessionnels déjà évoqués, à travers une séance d’hypnose exacerbant les exécrables relations d’une fratrie à sa mère aussi autoritaire qu’indifférente, dans le contexte d’une troupe d’opéra préparant une représentation du fameux “Paillasse”. Les rancœurs fusent, la réalité et le fantasmatique s’interpénètrent, comme l’art et la vie, la première partie du film étant à ce titre imparable. Le film figurait, bien légitimement, dans la rétrospective consacrée à Bellocchio par la Cinémathèque française l’hiver dernier, mais celui-ci ne semble cependant toujours pas complètement arrimé à la position qu’il mérite et demeure plutôt sous-coté, ce qui est plutôt irritant quand on voit la somme de fausses valeurs montées en épingle par une certaine critique française.

Christophe Chauville

 

Fais de beaux rêves (Fai bei sogni) de Marco Bellocchio, DVD, Ad vitam, 19,99 euros.
Paru le 2 mai 2017.