DVD 09/05/2018

La petite fille au bout du chemin

Sensation de la Quinzaine des réalisateurs en 2017, “The Florida Project” de Sean Baker sort en DVD. Un authentique représentant du cinéma indépendant américain dans ce qu’il a de meilleur.

Difficile de savoir si cette impression est justifiée, mais on a le sentiment de voir depuis quelques mois beaucoup de films donnant, à l’ère de la présidence Trump proclamant vouloir “redonner sa grandeur à l’Amérique”, une toute autre image du pays et de ceux qui vivent aux marges de la société, dans des coins oubliés de ce territoire immense et si contrasté. L’Arizona dans Katie Says Goodbye, le Dakota du Sud dans The Rider, l’Oregon dans La route sauvage, et on en oublie, en reflet à cet espace improbable de la banlieue de Disney World dans The Florida Project. Le réalisateur Sean Baker s’était déjà distingué avec Tangerine en 2015 et sa démarche est avant tout de se démarquer de la manière de faire dans les règles d’Hollywood. Sa fiction, arrimée à une chronique du réel au naturel désarmant, met d’abord en scène des gamins faisant les quatre cents coups, en tête desquels la farouche Moonee, six ans, incarnée par une fillette absolument épatante qui se place dans une longue tradition d’inoubliables enfants à l’écran du cinéma américain, depuis le Kid de Chaplin jusqu’au “petit fugitif” du film éponyme de Morris Engel et Ruth Orkin.

Le tour de force du scénario est de demeurer quasiment in extenso dans l’espace circonscrit par le motel miteux où vit Moonee, dans une extrême précarité, avec sa jeune et inconséquente mère Halley (jouée par une interprète jusque-là non professionnelle, remarquée via Instagram : Bria Vinaite), tandis que le fameux rêve américain et le monde de la consommation et de l’argent facile est à la fois à portée de main et inaccessible. La gestion de la géographie est d’ailleurs impressionnante, ce que matérialisent les déplacements des enfants, jouant et déambulant dans cette sorte de Luna Park à l’abandon, à quelques encablures du “vrai” parc de Disney où se bousculent en revanche les touristes.

L’autre tour de force de Baker est d’avoir su transposer un schéma de film social à l’anglaise – le cinéma de Loach est une référence qui n’est pas niée, voir le court entretien proposé en bonus – à travers le parcours de cette jeune mère délurée et volontairement désœuvrée, fumant des pétards et ne parvenant pas à joindre les deux bouts dans une inconscience qui la condamne, à terme, à vendre son corps et entraîner sa fille dans l’engrenage infernal des services sociaux. Et pourtant, loin d’un plombant misérabilisme, la tonalité du film conserve un humour permanent, au fil des joyeuses bêtises des adorables “p’tites canailles” et de leurs répliques particuièrement acérées. Quand Moonee montre un arc-en-ciel, au dessus du motel, à sa nouvelle copine Jancey, elle lui parle du lutin qui garde le trésor à son pied et lui propose de se ruer à sa rencontre pour le dérouiller ! Un bon indice pour mesurer la température globale de cette belle réussite de “l’autre cinéma” américain, dont la face cachée l’est de moins en moins, ce dont on peut se réjouir.

Christophe Chauville

 

The Florida Project de Sean Baker, DVD, Le Pacte, 19,99 euros.
Disponible à partir du 9 mai 2018.

Photos : © Marc Schmidt.