DVD 12/12/2018

Intégrale Charles Matton

Un coffret réunit l’ensemble des films réalisés par Charles Matton dans des versions restaurées. Des courts et des longs. Tour d’horizon.

Le premier long métrage de Charles Matton, L’Italien des roses (1972) demeure un souvenir marquant pour les cinéphiles qui ont découvert ce météorite en noir et blanc qui ne ressemble qu’à lui-même, grand prix Perspectives à Cannes en 1972 et premier grand rôle de Richard Bohringer. Un coffret, édité par Carlotta, permet de découvrir l’avant, des courts métrages, et de rappeler l’après, trois longs métrages dont l’éclectisme laisse clairement apparaître que leur auteur n’a pas vraiment capitalisé sur ce premier succès d’estime et a préféré varier les plaisirs. Le cinéma n’était qu’une des cordes à son arc, on se souvient, par exemple, avec ravissement d’une exposition de ses boites, des espaces recréés en miniature avec une précision fascinante et en quelques clics on découvre que son activité la plus rémunératrice fut celle d’illustrateur sous le pseudonyme de Gabriel Pasqualini. Pour plus de précisions, le site consacré à Charles Matton mérite le détour.

Côté cinéma, son premier film, La pomme ou l’histoire d’une histoire (1967), obtient le prix du court métrage au Festival du jeune cinéma de Hyères en 1966. Réalisé en grande partie au banc titre, il donne le sentiment de partager le carnet intime d’un plasticien qui puise dans une matière quotidienne, familiale, images, photos pour interroger le passage des unes aux autres dans des essais qui annonce certains motifs de ses films ultérieurs. On hésite entre autobiographie ou fiction en sachant bien que la question n’est pas essentielle. Elle est surtout dans le plaisir d’agencer des images et des sons, des paroles et des plans pris on ne sait trop où ; Richard Bohringer y apparaît furtivement à l’écran pour la première fois, tout comme la compagne d’alors de Charles Matton, Isabelle Mercanton. On les retrouve tous les deux dans L’Italien des roses.

Images fixes agencées au banc titre selon un montage particulièrement dynamique, Mai 68 ou les violences policières (1968) auraient pu intégrer la série des Cinétracts initiés par Chris Marker et Jean-Luc Godard. Hervé Pichard, de la Cinémathèque française, qui a piloté la restauration de film, explique qu’il constitue « un témoignage émanant de deux figures artistiques de cette époque. Charles Matton, d'abord : connu pour ses peintures et ses dessins (…), Hedy Khalifat, ensuite, qui produit le film : étudiant à l'IDHEC, pionnier du cinéma tunisien, il a travaillé avec René Vautier sur Vacances tunisiennes (1956) et réalisé en 1957, avec Cécile Decugis, Appel, sur les « réfugiés algériens » aux côtés du FLN », cette dernière étant la monteuse de La pomme ou l’histoire d’une histoire.

Avec Activités vinicoles dans le Vouvray (1967), Charles Matton change une nouvelle fois de registre. Une vague amourette se déroule à l’occasion d’une récolte de raisins. Parmi ces jeunes vendangeurs qu’on imagine occasionnels, celui, interprété par Jean-Pierre Rassam – il deviendra le producteur légendaire de Jean Yanne, Jean-Luc Godard, Maurice Pialat –, tente de séduire une jeune femme, incarnée par une certaine Angela Mac Donald et dont on comprend qu’elle éveille de tels sentiments. Mais un autre vendangeur, le quasi ténébreux Richard Bohringer, va lui ravir la belle.

Cette intrigue sous le signe de Bacchus n’est qu’un mince prétexte pour un travail quasi pictural, avec des couchers de soleil à la limite du chromo et des images plus convaincantes quand il s’agit de natures mortes ou de mettre en valeur les formes d’ Angela Mac Donald dans la tradition du tub à la Degas.

Activités vinicoles dans le Vouvray, D.R.

L’Italien des Roses appartient à ces films qui reposent sur un suspens dramatique ponctué de flashbacks propres à restituer le fil des enchaînements qui ont mené à cette situation. Comme dans Le jour se lève, un des prototypes de ce genre, une foule se masse en bas d’un immeuble pour guetter les réactions d’un homme au faîte de celui-ci. Chez Charles Matton, celui que ses voisins surnomment « l’Italien » s’apprête à sauter depuis la terrasse du toit et le film revient sur les jours qui ont précédé cet événement. Mais contrairement au classique de Marcel Carné, où le déroulé des causes et des effets délivrait une explication logique et les ressorts de la tragédie, les raisons qui ont conduit cet homme au désespoir – premier grand rôle de Richard Bohringer –, ne peuvent être clairement pointées tant elles semblent diffuses et plus procéder d’un malaise tout à la fois existentiel et social, dont on peut sentir qu’il n’est pas sans affecter cette communauté spectatrice, attendant de savoir si l’Italien des Roses va sauter.

C’est, paradoxalement, pour un film érotique, Spermula (1976), une commande dit-on, que Charles Matton a bénéficié de son budget le plus important. Bernard Lentéric, qui l’a produit et qui fut aussi danseur, musicien de jazz, chorégraphe, joueur de poker et surtout romancier, imaginait sans doute surfer sur le succès rencontré par Emmanuelle (1974) – on lui doit aussi Le dernier amant romantique, signé Just Jaeckin (1978). Les différents résumés du film qu’on trouve ici et là disent assez bien la très relative importance de l’intrigue imaginée par Charles Matton, une fable de science-fiction inspirée des romans populaires, des serials, avec société secrète, complots, familles toxiques et notables corrompus. On comprend plus ou moins qu’un commando de splendide créatures a pour mission d’éradiquer l’amour sur terre et que, séductrices en diable, elles prônent des relations sexuelles libérées, dans le but de vider toute la semence des hommes. Au passage, elles convertissent des femmes, on saisit ainsi vite que la servante du cardinal – d’autant qu’elle est interprétée par Myriam Mézières – ne va rester longtemps aussi prude que ce que son aspect revêche et son chignon bien tiré semblent le laisser croire – « la bonne du cardinal a répondu à l’appel des Spermula », la formule donne le ton du film. Quant au prélat, il va lui-même bien évidemment céder à l’appel de la chair.

L’histoire se révèle assez vite un prétexte au service d’un déploiement visuel, autant à l’œuvre dans les décors – « l’esthétique architecturale flamboyante des années 1930 » fut évoquée –, que dans l’image souvent vaguement irisée et les jeux de reflets qui ne laissent qu’entrapercevoir furtivement les scènes les plus sexuellement explicites. Le plaisir pris à filmer de belles et jeunes actrices face à des comédiens d’expérience (Ginette Leclerc, Georges Géret, Piéral) et la distance amusée, pas très loin du pastiche, que l’on perçoit, confèrent à ce Spermula un charme indéniable.

Les deux derniers films de Charles Matton, produits par le regretté Humbert Balsan, sont plus personnels. La lumière des étoiles mortes (1994) est inspiré par son enfance pendant la guerre au cours de laquelle, alors que sa famille s’était repliée dans une maison à la campagne, des soldats allemands s’y sont aussi installés. Sous le signe d’une initiation, le film entremêle, avec sensibilité et tact, le portrait des parents, une amitiés possible avec ces occupants et l’horreur de la guerre.

Enfin, Rembrandt (1998) raconte comment le peintre, un temps célèbre et adulé, se voit relégué à la marge quand il refuse de se plier aux soubresauts de la mode picturale. Lui continue son œuvre avec le même investissement et les mêmes préoccupations tout en vivant ses passions privées sans se soucier des convenances. Rembrandt est incarné magistralement par Klaus Maria Brandauer. On y croise Richard Bohringer, comme dans chaque film de Matton, et Romane, dans le rôle du jeune modèle qui a partagé la vie du peintre après la mort de sa femme. Ce biopic a été tourné en studio et on imagine le réalisateur habité par le même souci de recréer un espace intime que pour les décors miniatures de ses boites. Et on ne peut exclure une part de projection dans ce portrait d’un homme pour lequel l’exercice de son art passe avant toute chose.

Jacques Kermabon

 

Charles Matton cinéaste, Coffret livre/DVD, Carlotta, 60 euros.

Et en unitaire (Blu-ray ou DVD) : L’Italien des roses (avec La pomme ou l’histoire d’une histoire en supplément) ; Spermula (avec Mai 68 ou les violences policières et Activités vinicoles dans le Vouvray en suppléments), Carlotta , 20 euros chaque.

L’Italien des roses © 1972 Sunchild, renouvelé 1995 Sunshine. Tous droits réservés.

 

Spermula © 1976 Film and Co, renouvelé 2014 Sylvie Matton. Tous droits réservés.

 

La lumière des étoiles mortes © 1994 Ognon Pictures, renouvelé 2007 Sylvie Matton. Tous droits réservés.

 

Rembrandt © 1999 Ognon Pictures, renouvelé 2007 Sylvie Matton. Tous droits réservés.