DVD 11/12/2017

Hitchcock, le dossier Selznick

Un coffret collector réunit les quatre films d’Alfred Hitchcock produits par David O. Selznick entre 1940 et 1947, agrémentés d’une foultitude de compléments et associés à un somptueux ouvrage.

À la fin des années 1930, le plus célèbre des réalisateurs britanniques se voit courtisé par Hollywood. C’est David O. Selznick, qui fait finalement signer un contrat avec Alfred Hitchcock, ce dernier imaginant peut-être avoir les coudées plus franches avec un producteur indépendant. Après avoir travaillé pour la MGM, la Paramount et la RKO Radio Picture, Selznick a en effet créé sa propre maison de production en 1935 et enchaîné quelques succès avant de se lancer dans le gigantesque projet d’Autant en emporte le vent.

Après avoir caressé le projet d’un film retraçant le drame du Titanic, Selznick propose une adaptation de Rebecca, roman à succès de la romancière Daphne du Maurier, dont Hitchcock venait d’adapter La taverne de la Jamaïque. Ce sont les années passées avec Selznick, celles qui vont permettre à Hitchcock de se confronter et de se familiariser avec les méthodes hollywoodiennes, que donne à évaluer ce coffret « ultra collector » proposé par Carlotta.

Il comprend cinq Blu-ray avec des copies restaurées, Rebecca, (1940), La maison du docteur Edwardes (1945), Les enchaînés (1946), Le procès Paradine (1947), une galette de bonus et un beau livre richement illustré, recueil de documents, d’articles et d’exégèses parfois inédits, parfois repris d’autres publications.

Avec en mains les pièces de ce dossier, chacun pourra évaluer la valeur des films ( Les enchaînés (Notorious), cédé à la RKO par un Selznick pas complètement convaincu et fort occupé par Duel au soleil apparaît sans doute comme la plus belle réussite de cet ensemble), partager les analyses proposées et tenter d’appréhender les apports et les limites de cette collaboration parfois tumultueuse entre un réalisateur soucieux de son indépendance et un producteur particulièrement interventionniste, célèbre pour ses fameux et prolifiques « mémos ».

Un tel ensemble permet de nuancer un point de vue strictement « auteuriste » qui décèlerait partout la patte d’un maître et imputerait les fausses notes à la pression du producteur. La personnalité de Selznick, ses exigences, les propositions qu’il imposait, sa participation à l’écriture des scénarios, le contrôle qu’il maintenait sur toute la chaîne de l’élaboration des films ont, certes, entravé certaines des volontés d’Hitchcock, mais ils ont parfois bonifié les films et dans tous les cas permis au réalisateur de s’améliorer et de se forger une attitude à l’égard d’Hollywood.

Les films sont inégaux. Dans un entretien publié dans le livre, Jean Douchet exprime très bien comment dans les trois tonalités successives de Rebecca, on sent assez bien comment par moment le cinéma, la puissance visuelle de la mise en scène, domine, tandis que, dans la fin du film, le cinéma ne fait que suivre le scénario avant de reprendre, in fine, une certaine vigueur avec l’incendie de Manderley. On voit aussi à quel point, quand les rôles principaux ne conviennent pas à Hitchcock – il s’en explique dans les entretiens – il peaufine alors les seconds rôles ; la figure du juge, interprété par Charles Laughton, dans Le procès Paradine est à cet égard exemplaire.

En complément de chacun des films sont proposés les extraits correspondants des enregistrements des fameux entretiens avec François Truffaut. À l’émotion de réentendre ces voix, la complicité de la traductrice Helen Scott, s’ajoute la possibilité de se replonger dans le « Hitchbook » et regarder la façon dont ces propos, souvent complices et parfois décousus, ont été retranscrits. Des proches de Truffaut reviennent sur l’importance de ce livre et sa genèse dans un bonus.

Laurent Bouzereau, réalisateur et grand connaisseur de l’œuvre du maître du suspens, resitue chacun des films et en propose des analyses. Il souligne ainsi, entre autres, les échos entre La maison du Docteur Edwardes et de Pas de printemps pour Marnie (1964), pendant féminin d’un personnage affecté par un trauma dont l’éclaircissement, grâce à un tiers amoureux, va le délivrer. Le film produit par Selznick, interprété par Gregory Peck et Ingrid Bergman en psychanalyste amoureuse et salvatrice, est à juste titre demeuré célèbre pour le rêve qu’il contient, créé par un Salvador Dalí alors en pleine gloire. Selznick, par ailleurs conseillé par sa propre analyste, s’offre les services du fameux peintre surréaliste. Que ne pouvait pas Hollywood ?

La multiplicité des entrées que ce coffret autorise permet de confronter les points de vue. Le choix de Joan Fontaine dans Rebecca, prend ainsi des sens différents selon qu’il est commenté par Hitchcock, Selznick ou le fils de celui-ci, qui, dans un des suppléments, raconte le rôle de sa mère dans certaines options prises par son producteur de père.

À s’immerger dans les textes, les entretiens, les documentaires – dont un, passionnant, consacré à Daphne du Maurier – et bien évidemment au premier chef dans les films proposés, dont on ne se lasse pas d’explorer les strates de sens qui s’y déploient, on y passerait des heures. Ça tombe bien, c’est l’hiver.

Jacques Kermabon

Coffret limité et numéroté à 3000 exemplaires, également disponible en Coffret Ultra Collector 6 Blu-ray, Carlotta, prix public conseillé : 100,32 euros.

Le coffret contient les films :

Rebecca (nouvelle restauration 4K), La maison du docteur Edwardes, Les enchaînés, Le procès Paradine (nouvelles restaurations HD)

En suppléments :
Obsédante absence – Subliminal – Le clé du suspense – Réminiscences (19 mn / 16 mn / 14 mn / 16 mn). Quatre entretiens et analyses de Laurent Bouzereau, cinéaste et auteur de Hitchcock : pièces à conviction.
Hitchcock/Truffaut (33 mn / 23 mn / 29 mn / 23 mn). Les quatre films décryptés par Hitchcock et Truffaut au cours de leurs célèbres entretiens, augmentés d’une postface inédite du réalisateur Nicolas Saada.
Screen test pour Rebecca (9 mn). Margaret Sullavan, Vivien Leigh et Sir Laurence Olivier font des essais pour les premiers rôles du film.
Hitchcock/Selznick (22 mn). Réalisé par Bertrand Tessier, un entretien exclusif avec Daniel Selznick, fils de David O. Selznick.
Monsieur Truffaut Meets Mr. Hitchcock, (39 mn). La genèse d’un livre de légende et d’une relation singulière, avec les témoignages de Claude Chabrol, Laura Truffaut, Patricia Hitchcock et bien d’autres… Réalisé par Robert Fischer.
Daphne du Maurier sur les traces de Rebecca (54 mn). Nimbée d’étrange et bousculant les conventions, l’œuvre de Daphné du Maurier (1907-1989) a séduit de nombreux cinéastes, Alfred Hitchcock en tête, qui portera à l’écran La taverne de la Jamaïque, Les oiseaux et Rebecca, l’un de ses plus célèbres romans. Portrait subtil d’une romancière à la personnalité complexe. Réalisé par Elisabeth Aubert Schlumberger.
Home Movies (35 mn). Alfred Hitchcock comme vous ne l’aviez jamais vu. Instants en famille ou sur les plateaux de tournage.
La conquête de l’indépendance, un livre de 300 pages incluant plus de 120 photos.
 

Les enchaînés