DVD 09/06/2017

Au bonheur des bonus

Nul doute que cette édition restera comme l’un des monuments de l’année en cours en matière de DVD, concoctée par les joailliers de Carlotta.

Les courts métrages font souvent figure de bonus dans les éditions DVD. C’est en partie le cas dans ce coffret collector, lequel consacre en outre une galette entière à une sélection des courts de Walerian Borowczyk. Dans un complément de celle-ci, Un film n’est pas une saucisse, le réalisateur, assis devant une table de montage, dit ainsi son intérêt pour la forme brève (il a réalisé une trentaine de courts métrages et de publicités entre 1957 et 1984) : “Faire un court métrage, notamment un film d’animation, c’est une soupape de sécurité pour moi ; c’est un repos, un plaisir. (...) Je me sens artisan. Je peux maîtriser tout comme pour un tableau.” Les témoignages, qu’on trouve dans les nombreux suppléments, concordent et, une entrée dans Le dico de Boro le confirme : J comme “Je fais tout moi-même”. Il signait parfois l’image sous le pseudonyme de Michel Zolat, s’occupait des décors et des costumes, et fabriquait de nombreux accessoires. La bête et son sexe inoubliable, c’est lui, comme bon nombre d’objets plus ou moins étranges qu’on croise dans ses films. On soupçonne même que certains des jouets érotiques présentés à l’écran par les mains expertes d’André Pieyre de Mandiargues dans Une collection particulière sont de pures inventions du réalisateur. Leur proximité formelle avec les sculptures sonores en bois, fabriquées par Borowczyk, présentées par Maurice Corbet, conservateur du Musée-Château d’Annecy, rend l’hypothèse parfaitement plausible.

Borowczyk a été peintre, affichiste et cette veine plastique est déterminante. Certes, son intérêt pour l’érotisme est présent dès le début de son travail. Mais finir par se consacrer à part entière à des créations de ce type, où ce n’est pas tant la dramaturgie et le récit qui priment, lui a sans doute permis de laisser le champ libre à cet intérêt pour les dimensions visuelles du septième art.

À ses débuts, ses films d’animation s’inscrivent dans la poursuite de ses préoccupations picturales. Coréalisé avec son compatriote Jan Lenica, Dom (1958) lui vaut un prix au Festival de Bruxelles et une certaine reconnaissance. Borowczyk s’installe à Paris où il réalise Les astronautes (1959), collages et mélièseries qui ne sont pas sans rappeler la peinture naïve. Son coréalisateur, Chris Marker, a déclaré qu’il avait juste servi de prête-nom (l’émigré polonais ne pouvait prétendre au titre de réalisateur) et que son seul apport est d’avoir suggéré de remplacer, par une chouette, le canari envisagé.

Recommandé par le producteur Anatole Dauman et Marker, Borowczyk intègre l’équipe des Artistes associés, même si les témoignages décrivent un créateur préférant travailler seul dans son coin. Il n’était pas non plus très convaincu par le compositeur attitré de cette société de production et, du reste, il en fonde une à sa main, Pantaleon Films. Ses films se suivent et ne se ressemblent pas, tentant à chaque fois des pistes différentes où l’exploration graphique, teintée de surréalisme, prime sur la fluidité de l’animation. Dans un de ses chefs-d’œuvre, Les jeux des anges, primé à Tours en 1964, le mouvement est essentiellement provoqué par le déplacement de la caméra sur les dessins. L’animation proprement dite y est parcimonieuse et le son primordial. Dans une introduction, Terry Gilliam se souvient avoir été impressionné par le long bruit saccadé du train qui ouvre et clôt ce film sur une matière figurative en mouvement, une plongée dans la nuit, à la limite de l’abstraction que n’aurait pas reniée Norman McLaren. La puissance énigmatique du film, sombre, inquiétant, représentation d’un univers concentrationnaire et vecteur de mort, résiste à toutes les interprétations qui en ont été faites1.

On peut inclure dans l’ensemble des courts métrages proposé dans ce coffret, le fameux film à sketches, première pièce de sa série érotique. Dans sa version initiale, Contes immoraux, auréolé dans cette composition du Prix de l’Âge d’or 1974, comprenait un sketch, La bête, partie soustraite lors de l’exploitation du film en salles, puis recyclée et diluée dans le long métrage éponyme (1975). Cette édition collector propose, en supplément, cette première mouture du film à sketches avec la version, intégrale et dans sa continuité de ce sommet de l’érotisme, où une comtesse, d’abord effarouchée et effeuillée au rythme d’un air de Scarlatti au clavecin, consume de ses ardeurs insatiables la pauvre bête du Gévaudan.

Ce coffret exemplaire comprend, en outre, les principaux longs métrages de Walerian Borowczyk. Était-il nécessaire de le préciser ?

Jacques Kermabon

1. Dans une version qu’on trouve sur internet, a été ajouté au début un carton en anglais précisant que la musique du film est fondée sur un chant original des camps de concentration polonais.
 

Walerian Borowczyk, coffret collector DVD, Carlotta, 2017, 69,99 euros.
En unitaire : Contes immoraux et La bête, 19,99 euros chaque.
Le coffret contient les longs métrages restaurés en 2K, les courts métrages, deux livres : Camera Obscura (articles sur les films, deux entretiens avec Borowczyk (216 pages) ; Le dico de Boro, un abécédaire pour s’initier au cinéma de Boro (92 pages) et une foultitude de suppléments.

Photos : Contes immoraux © Argos Films.

Ce texte est extrait du numéro 121 de Bref.