Cahier critique 09/06/2017

“Y a-t-il une vierge encore vivante” de Bertrand Mandico

Une Jeanne d’Arc psychédélique revisitée par Bertrand Mandico.

Bertrand Mandico ne cesse de filmer ; il ne cesse d’inventer ; il ne cesse de tourner ; il ne cesse de détourner. Pervers ? Voyeur ? Visionnaire ? Cet amoureux du cinéma, de l’étrange poésie dissimulée dans les objets, les corps et les récits, de Walerian Borowczyk, des films en marge, des films plastiques, accumule cette année au moins deux nouveaux opus, présentés dans de nombreux festivals : Notre Dame des hormones (tourné en Super 16) et Y a-t-il une vierge encore vivante (en 35 mm).

Le titre du premier évoque irrémédiablement le roman Notre Dame des fleurs écrit par Jean Genet. Et si les fleurs de l’écrivain faisaient écho poétiquement à son nom d’enfant abandonné, les hormones évoquent quant à elles ce qui coule dans les veines du cinéma de Mandico et le stimule : une configuration biochimique qui questionne à la fois le récit, les corps, les décors et la lumière. Comme un film à épisodes, Notre Dame des hormones met en scène une série de conflits entre deux actrices égarées, attirées par une chose éminemment sexuée, trouvée dans un recoin de la forêt mystérieuse qui entoure leur demeure magique. Telles des sorcières, elles s’affrontent à l’amour à la mort, rappelant parfois les personnages féminins de certains films de Jacques Rivette (Duelle principalement, mais aussi Céline et Julie vont en bateau) ou l’univers à la temporalité suspendue qu’affectionnait Carl Theodor Dreyer, dans son Vampyr particulièrement. Ce qui coule dans les films de Mandico, ce sont autant les sécrétions d’hormones que les couleurs imbriquées dans les paysages qui se délient, autant les hommages poétiques que les gestes insolites (expressionnistes) des comédiens, autant les mouvements de caméra que l’on peut tenir pour disgracieux que les trucages faits main qui nous pénètrent parce qu’ils sont affables.

La Chose gluante, objet des querelles, fait écho à de nombreuses autres figures convoitées, précieuses, impénétrables apparues dans les autres films de Mandico. De même cette Vierge, objet que l’héroïne d’Y a-t-il une vierge encore vivante, Jeanne d’Arc survivante, abandonnée et meurtrie, cherche à s’approprier afin de l’accorder à son désir. Prendre possession pour soi, être capable de combler sa soif de vie et de mort, de nourrir son bonheur, aux confins des mesquineries humaines, voilà l’une des ambitions des personnages des films de Bertrand Mandico.

Ces quêtes métaphysiques s’accompagnent d’une forme métaplastique également. Décors, éclairages, costumes dessinent pour Mandico un territoire de recherche, de composition inouïe, où les moindres apparitions, mouvements de caméra, jeux de lumières font apparaître dans l’image un élément inattendu. Si les personnages sont entre deux temps, entre deux espaces, le spectateur, par ces effets d’apparition, connaît la même instabilité. Dans Y a-t-il une vierge encore vivante, la voix semble nous apporter un semblant de stabilité, créant un continuum que l’aspect mosaïcal des lumières dans le cadre déséquilibre à loisir. Cette relecture du mythe de Jeanne d’Arc place cette figure légendaire dans la lignée des personnages errants, reclus, ne survivant que par la puissance d’un fantasme, d’une macabre mission, et de leur cruauté. La Chose de Notre-Dame… apparaît elle aussi comme étant le révélateur des méandres intimes des deux personnages féminins. Ce film tragiquement comique, et à qui Michel Piccoli prête sa voix, nous soumet à une forme d’onirisme où les puissances du cinéma se révèlent.

La sève hormonale de Bertrand Mandico n’a pas fini de couler dans les veines de son cinéma atypique et en permanente croissance.

Sébastien Ronceray

Article paru dans Bref n°116, 2015.

Y a-t-il une vierge encore vivante, 2014, couleur, 7 min.
Réalisation, scénario et décors : Bertrand Mandico. Image : Pascale Granel. Montage : Laure Saint-Marc. Son : Laure Saint-Marc et Simon Apostolou. Interprétation : Elina Löwensohn, Eva Maloisel et Thomas Arnold. Production : Ecce Films.

Notre Dame des hormones, 2014, couleur, 31 min.
Réalisation et scénario : Bertrand Mandico. Image : Pascale Granel. Montage : Laure Saint-Marc. Interprétation : Elina Löwensohn, Nathalie Richard, et la voix de Michel Piccoli. Production : Ecce Films.