Cahier critique 05/07/2017

“Un juego de niños” de Jacques Toulemonde

Alors que le premier long métrage de Jacques Toulemonde, “Anna”, sort en salles, découvrez son premier court.

Pablo sort de chez lui. Leo l’approche, le menace de son arme, il a besoin d'argent. Mais Pablo n’en a pas assez, il le conduit alors chez son ami Federico. C’est là que débute un étrange huis clos, filmé en caméra épaule, au plus près des visages, entre trois personnages issus de milieux opposés : la bourgeoisie pour Pablo et Federico, et la Madalena pour Leo, un quartier chaud du sud de Bogota. Cette confrontation entre deux mondes révèle l’évidence que les adolescents se ressemblent tous, que leurs préoccupations sont les mêmes : l’alcool, la musique, les filles, le pétard. Tous les trois vivent à la fois dans l’urgence, dans une brutale pulsion de vie et dans la peur des responsabilités, qu’ils fuient comme ils le peuvent dans des paradis artificiels.

Malgré l’arme posée sur la table, et plusieurs fois brandie par Leo, ce n’est pas sa violence qui frappe, mais sa fragilité, notamment grâce aux nombreux gros plans sur ses yeux. Le caïd ne serait-il qu’un pauvre jeune homme à la dérive, coincé entre un certain Don Jorge qui veut sa mort et une petite fille à qui il doit “acheter des couches” ? Celui qui se décrit comme n’étant ni un rat ni un voleur ne serait-il qu’un jeune adulte, encore un peu enfant, incapable de faire face à une situation qui le dépasse ? Face à ce jeune homme qui parle, boit, crie, et boit encore, ses deux hôtes réagissent de façon totalement différente. Alors que Federico essaie d’approcher Leo, comme on approche un petit animal blessé, dans les yeux de Pablo, on ne lit que la peur, le souvenir de l’arme, par deux fois braquée sur lui. Et si le caïd, c’était lui, finalement ? Un clin d’œil, un mouvement de tête. La vie n’est pas un jeu d’enfants.

Dix-huit minutes et quinze secondes. C’est la durée du film. Presque le temps de l’histoire, seuls quelques déplacements sont éclipsés. Dix-huit minutes et quinze secondes. Le temps de rien. Le temps qu’il suffit à trois vies pour basculer pour toujours. Le temps qu’il faut à Jacques Toulemonde pour clouer le spectateur sur place avec un film percutant.

Cécile Guthleben

Article paru dans Bref n°101, 2012.

Réalisation : Jacques Toulemonde. Scénario : Jacques Toulemonde, avec la collaboration de Franco Lolli. Image : Paulo Pérez. Montage : Jonathan Palomar. Son : Miller Castro, Mickaël Delalande et Zaki Allal. Interprétation : Henry Moises Gonzalez, Sergio Carvajal et Amel Restrepo. Production : Janus Films / Noodles Production.