Cahier critique 30/01/2017

“Pas de repos pour Billy Brakko” de Jean-Pierre Jeunet

Billy Brakko ne dort jamais ; il hait ces petites tranches de mort.

De la fin des années 1970 au début des années 1990, avec Marc Caro ou en solitaire, Jean-Pierre Jeunet a participé à la renaissance et à la reconnaissance du court métrage à une période où il était moribond. Réalisé en 1983, adapté d’une bande dessinée de Caro, Pas de repos pour Billy Brakko peut se voir comme un film charnière dans la carrière de son auteur puisqu’il arrive après l’angoissant Bunker de la dernière rafale et avant l’inventif Foutaises, film court emblème de la fin des années 1980 dans lequel Jeunet explore le langage cinématographique avec irrévérence et fait montre de son désir non pas de parler (l’histoire est accessoire...), mais de créer.

Alors que dans Foutaises un homme (Dominique Pinon) se décrit face caméra, Pas de repos… est un film presque sans acteur : un film constitué de collages et d’un montage d’images dans lequel une voix off tient le rôle du narrateur créateur omniscient. L’heure – le ton – est grave. Brakko vient d’apprendre qu’il est mort et – alors qu’il vit encore – il n’a d’yeux que pour sa belle dulcinée, une espionne venue de l’Est, qui le mène à sa perte : la mort. Il meurt deux fois et puis deux ex machina, Donald Duck paraît dans le rôle de saint Pierre et lui propose une fin alternative dans laquelle Brakko est sauvé. Ce final ponctue le film d’un coda. La fin qui n’est pas une fin renvoie au début qui n’a rien d’un début.

Loin du romanesque clipé qui sera l’une de ses marques de fabrique, Jeunet s’amuse ici avec des êtres de papiers. La forme est le fond. Ainsi le film mérite qu’on le décrive. Pendant le générique des dessins rétro-futuristes de Marc Caro se succèdent dans une atmosphère sonore lugubre. Mais une fois que le film commence, on quitte cet univers punk-cryptique pour une envolée en humour noir (l’ennemi mortel de la sentimentalité) porté par une pratique explosive du décalage et de l’hyperbole. Sur un rythme loufoque, martelé et ivre à la fois, Jeunet jongle avec brio avec les sons et les images (aux sources hybrides : archives, extraits de films, de dessins animés, d’images arrêtées découpées et recadrées) et multiplie les clins d’œil directs (Hergé, 2001, l'odyssée de l'espace, Eraserhead, Tex Avery, Disney, les Studios Fleischer) ou indirect (Citizen Kane). Jeunet, qui marquera ensuite toute une génération avec ses films, s’affirme ici comme un aventurier de la forme et un bédéphile passionné d’animation.

Avec le tourbillonnant Pas de repos pour Billy Brakko, on assiste à la naissance du pulp cinéma qui prendra, au cours des années 1990, plusieurs formes : déchaînement (branché) de violence chez Tarantino ou mélancolie circassienne (rétro) chez Jeunet. Peu de temps avant que tous les effets spéciaux ne se fondent dans un même plan (et ne provoque la nausée numérique que l’on sait), Jeunet forge son cinéma grâce à des effets mécaniques et cela avec la même candeur et la même passion que le feraient les personnages d’un film de Michel Gondry. Et ce souffle et cette passion demeurent dans ce film aujourd’hui toujours aussi vifs.

Donald James

Réalisation, scénario, montage et décors : Jean-Pierre Jeunet. Image : Bruno Delbonnel. Musique et son : Parazite. Interprétation : Jean Bouise. Production : Zootrope Films.