Cahier critique 13/11/2017

“Les baisers des autres” de Carine Tardieu

La nouvelle comédie de Carine Tardieu, Ôtez-moi d’un doute, est en salles. Découvrez son premier court métrage Les baisers des autres.

Les baisers des autres je les trouve dégueulasses”, dit une voix off sur des images de lycéens se roulant une pelle. Le film joue sur le contraste entre cette voix adulte (Romane Borhinger) et son incarnation dans un corps adolescent (Noémie Develay), entre le présent de narration et la nostalgie de la narratrice, entre le dégoût et l’attrait, entre l’amer et le sucré.

Pour Sandra, les autres, c’est d’abord la famille : un frère malicieux, un père cajoleur et une mère à l’hyperexcitabilité cérébrale. Puis les copines, celles qui sont adulées, celles qui ont mauvaise haleine ou celles qui sont pomponnées. Puis les animaux qui la comprennent. Puis c’est le monde entier, dans lequel elle n’a pas demandé à naître pas plus qu’à être “réglée”. Le film fait alors signe vers un “dérèglement de tous les sens”. Comme Rimbaud, Carine Tardieu puise en elle “tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences1”. Ces baisers que le personnage exècre, la narratrice au bout de quelques plans finira par nous avouer qu’elle les envie.

Le film est une sorte de tube à essai que l’on secoue très fort pour obtenir un précipité trouble, celui d’un âge injustement dit ingrat comme si on voulait réprimer en lui le beau et le vivace, le singulier et l’inventif. Ainsi va le montage précipitant les idées qui traversent l’esprit de la narratrice : vues microscopiques de cellules, schéma expliquant le “palot”, couples de tout âge qui s’embrassent à la dérobée, petits vers blancs grouillant… Ainsi vont les angles et les points de vue du ras du sol à la plongée, du subjectif au regard caméra. Ainsi vont les métaphores comme lorsque Sandra au milieu d’un troupeau de moutons revendique qu’elle ne veut pas faire comme tout le monde. Outre le clin d’œil au Charlot des Temps modernes, c’est au burlesque que le film fait signe et au corps en particulier. Quoi de plus burlesque en effet qu’un corps adolescent qui esquive et résiste à la réalité. Carine Tardieu met donc son film en crise comme l’adolescence qu’elle essaie d’approcher avec sincérité et justesse.

Si Les baisers des autres s’ouvre comme un conte – une maison-château, des personnages-type, un prince charmant fantasmé, des animaux adjuvants, un récit polymorphe, une quête de soi – il se dénoue sur des images douces et granuleuses où tremble l’image d’une mère en allée trop tôt qu’un aveu poignant  fait renaître au présent : “J’aime les baisers sucrés de ma petite maman.

Yann Goupil

 1. Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 dans laquelle Rimbaud écrit : “Car Je est un autre.”

Réalisation et scénario : Carine Tardieu. Image : Éric Dumage. Montage : Éric Prêtet. Son : Ivan Dumas. Musique : Alexandre Desplat. Voix off : Romane Bohringer. Interprétation : Noémie Develay, Antoine Pouget, Didier Agostini et Otero. Production : Wacky Films.