Cahier critique 21/08/2018

“Le Mozart des pickpockets” de Philippe Pollet-Villard

De son prestigieux parcours en festivals, ce film a rapporté le Grand Prix et le Prix du public du Festival de Clermont-Ferrand 2007, le César et l’Oscar 2008...

Avec ce troisième court métrage après Ma place sur le trottoir et La baguette, dans lequel on retrouve le même couple de personnages interprétés par le réalisateur et son acolyte, l'écrivain Richard Morgiève, Philippe Pollet-Villard connaît en 2008 un succès tonitruant. Non seulement il reçoit le Grand prix à Clermont-Ferrand et le César du court métrage, mais aussi l'Oscar la même année. Un enthousiasme venu du beau monde, donc, pour l'histoire de deux compères du quartier de Barbès, voleurs bien maladroits qui ne seraient arrivés à rien, s'ils n'avaient fait la rencontre d'un orphelin, petit génie malicieux bien plus expert qu'eux dans l'art de voler.

Dès la première apparition de Richard et Philippe, le ton est donné. Sur une musique clownesque, les voilà postés dans la rue, se balançant au même rythme que celui des trombones, des habits troués, trop larges : de vrais Laurel et Hardy. Ils sont censés se faire passer pour des policiers en civil, au cas où leurs complices hispaniques, un peu plus loin en train de voler dans les sacs à main, se feraient prendre. Mais, comme l'un des pickpockets le dit, jouer un flic, c'est comme faire le guignol, tout le monde sait le faire... sauf ces deux-là. D'ailleurs, ils n'ont pas besoin de faire les guignols, ils sont guignolesques. Tout l'humour du film repose sur leurs personnages, pleins d'autodérision et prêts à se mettre dans les situations les plus impossibles avec l'assurance de ne jamais pouvoir s'en sortir.  

Pourtant, comme dans un petit conte, ils s'en sortent, sauvés justement par leur maladresse, leur naïveté, grâce auxquelles ils ne feront jamais partie d'un monde ou d'un autre, de celui des truands ou celui de la légalité. Leur décalage est sensible jusque dans les cadrages, obliques comme eux. Ils demeurent dans un univers parallèle, princes pauvres de la rue, faisant de leur petit hôtel miteux, qui pourrait être d'une autre époque, une sorte de château. Barbès même, filmé surtout à travers ses petites rues, n'a pas la dureté que le quartier pourrait avoir s'il était montré de manière réaliste, mais apparaît comme charmant, romanesque, un lieu où tout paraît possible. 

Tout, jusqu'à l'apparition d'un enfant-ange, lui-même faisant partie des “damnés” de ce monde, puisqu'il ne parle pas et qu'il se trouve sans famille à mendier dans la rue. Un ange puisque grâce à lui, la dynamique de joyeux perdants des deux comparses s'inverse. Il devient le petit prince des voleurs. Ensemble, ils forment bientôt non seulement un incroyable trio, mais une famille. Et quand le pire arrive alors qu'on s'y attend le moins, c'est dans un sourire qui illumine pour la première fois son visage que l'enfant annonce à nouveau la solution au problème. Le Mozart des pickpockets est aussi drôle qu'émouvant. 

Léocadie Handke

Réalisation et scénario : Philippe Pollet-Villard. Image : Philippe Piffeteau. Montage : Cyril Nakache. Musique : Flemming Nordkrog. Son : Vincent Piponnier et Gérard Rousseau. Interprétation : Philippe Pollet-Villard, Richard Morgiève, Emiliano Suarez, Samir Guesmi et Matteo Razzouki-Scafardi. Production : Karé Productions.