Cahier critique 21/08/2018

“La huitième nuit” de Pascale Breton

Premier court métrage de Pascale Breton couronné, entre autres, par le Grand Prix au Festival de Clermont-Ferrand 1996.

À la différence de certains premiers films prisonniers de leur manque d'ambition, La huitième nuit brille par l'insolite d'un scénario que l'on sent longuement mûri, fondé sur les regards et les sentiments plutôt que sur le sens, par sa manière aussi de concentrer l'enjeu dramatique sur les seuls personnages, de refuser l'intrigue tout en cherchant à intriguer, et c'est certainement ce qu'ont voulu souligner les jurés du Festival de Clermont-Ferrand 1996 en attribuant le Grand prix à sa réalisatrice, Pascale Breton. Jeune homme rêveur et naïf, mais de cette sorte de naïveté qui en fait une figure d'emblée attachante, Edwin accepte, autant par goût du défi que par nécessité, de traduire en huit jours le catalogue d'une exposition en arabe, une langue dont il ne connaît pourtant rien ou presque, devenant ainsi l'acteur d'une course contre la montre inédite, d'un jeu de pistes parsemé d'embûches et de hasards qui ne visent pas à en retarder ou à en déjouer l’issue, mais à la remettre sans cesse en cause, avec l’apparition de personnages singuliers, amis ou inconnus, comme autant de pièces d'un puzzle sans réel motif.

Pascale Breton articule ainsi son récit par enchâssement, sur le mode : A connaît B qui est lié à C, voisin de B, etc., et le spectateur se laisse volontiers emporter par cette aimable cohue, le rythme de ces rencontres toutes plus farfelues les unes que les autres, et de deviner par quelle remarquable ironie Edwin pourra se sortir du pétrin dans lequel il s'est fourré. Au reste, La huitième nuit ne s'en tient pas à cette simple mise à plat de l'histoire : le film ressemble plutôt à un décousu de situations sans rime ni raison, non dénuées d'un certain humour, et restituant au bout du compte une image assez fidèle de la frénésie métropolitaine, assez proche au fond de la dérision poétique d'un Iosseliani tournant Les favoris de la lune dans un Paris insolite et mélangé. Mais tout n'est pas ici d'égale humeur ; par exemple le soin méticuleux accordé à chaque image, ce liseré de perfectionnisme qui la souligne farde le propos, voire le contredit, et la légère griserie du film se dissipe parfois en de vaines précautions de style. Déconcertant pour qui cherche réalisme et psychologie, passionnant pour qui se laisse aller à la comédie noire, à la relativité des comportements humains, La huitième nuit donne tout lieu d'espérer pour l'avenir le meilleur de Pascale Breton.

Vincent Vatrican

Article paru dans Bref no29 (1996).

Réalisation et scénario : Pascale Breton. Image : Pascal Sautelet. Son : Béatrice Pilorge et Nicolas Becker. Montage : Gilles Volta. Musique : Jean-Pierre Baudry et Robert Schumann. Interprétation : Arnold Barkus, Sarah Haxaire, Mohamed Nadif et Luc-Antoine Diquéro. Production : Gloria Films Production.