Cahier critique 21/08/2018

“Hasta que la celda nos separe” de Joserro et Mariana Emmanuelli

Unis pour le meilleur et pour le pire (Prix SNCF du polar 2017).

Vibrant par ses nuances et ses contrastes, le cinéma est avant tout un art de mélanges : celui de l’image et du son, de l’ombre et de la lumière, du bruit et du silence, mais aussi des désirs et des obstacles, des lieux et des heures, etc. Tous distincts –parfois opposés –, c’est pourtant réunis, simultanément ou successivement, qu’ils nous apparaissent, et c’est l’habileté de leur agencement qui souvent nous séduit, nous émeut, nous transporte. 

Alors, lorsque le solennel et déjanté Hasta que la celda nos separe, empli de pétillants paradoxes, nous emporte dans son sillage, on ne peut qu’être enthousiasmé par l’intelligence et l’efficacité de sa composition. Le court métrage de Mariana et Joserro Emmanuelli entrelace en effet avec succès, et non sans un brin d’irrévérence jubilatoire, deux lignes narratives qui s’excluent a priori davantage qu’elles ne s’imbriquent : une traque policière et un mariage. Cette association, détonnante, pourrait donner lieu à une certaine confusion ; au contraire, parce qu’elle trouve écho dans un principe essentiel de l’art cinématographique (la mise en relation), il naît de cette confrontation une alchimie supérieure – et cocasse –, en équilibre constant entre absurde et poésie.

C’est en effet le rapprochement de ces deux intrigues distinctes qui permet aux cinéastes de prendre le contrepied du bon sens : mariant l’austérité d’un huis clos à la lumière verdâtre et l’enthousiasme débridé d’un couple de criminels désireux d’officialiser leur amour, la mise en scène s’ingénie à en renverser par touche les rapports. Peu à peu, l’enjeu du mariage apparaît plus important que celui d’échapper à la police. Ainsi, alors que leur avis de recherche est diffusé à la télévision, Joseph et Liza, les malfaiteurs, s’évertuent-ils à trouver des témoins ; inversion ubuesque et néanmoins efficiente car, au cinéma, tout est affaire de point de vue.

Or, parce que chacun des rouages nourrissant ordinairement l’intrigue policière est détourné au profit de la romance (aussi farfelue soit-elle), c’est elle qui concentre et accapare les tensions et les regards. Ce basculement s’incarne notamment au travers du personnage du livreur de pizza, aisément assimilable à la figure du spectateur. Son interprétation de la situation est en effet amenée à évoluer au fur et à mesure que l’intrigue se déploie ; d’abord effrayé par l’arme que Joseph braque sur lui (comme le bon sens le suppose), il est obnubilé par l’idée de fuite ; pourtant, devant ces criminels se révélant plus amoureux que vindicatifs et dont l’usage de la menace n’apparaît que comme un moyen de concrétiser leur amour, il est peu à peu gagné par leur histoire, allant jusqu’à se jeter sur les policiers, encore attaché à sa chaise, pour permettre au mariage d’avoir lieu. 

C’est cette tension dynamique entre deux trames narratives parallèles que rend possible le cinéma : aucun art n’est en effet plus apte à révéler la vitalité de ces entrecroisements, exprimant dans son immédiateté chacune de leurs altérations mutuelles. Ainsi, lorsqu’enfin elles se synchronisent, Joserro et Mariana Emmanuelli orchestrent-ils un climax final en forme d’apothéose, galvanisé par le canon de Pachelbel. Et, quand bien même deux cartons referment aussitôt la parenthèse enlevée, il demeure le souvenir de cette symbiose, aussi incisive que fantasque.

Claire Hamon

Réalisateur et scénario : Mariana et Joserro Emmanuelli. Image : Heixan Robles. Son : José Elí Pérez et Walter Santaliz. Montage : Walter Santaliz. Interprétation : Cristian Miranda, Gretza Merced Cruz, Patrick Urbain, Manuel Hernández, Juan José Méndez, José Juan Méndez, Fabiola Casas, Isis Twigg, Eddie Valdés, José Omar Torres et Juan Mariani. Production : Black Dog Production Mansion (Porto Rico).