Cahier critique 19/06/2017

“À la mémoire du rock” de François Reichenbach

Pour la Fête de la musique, retournez dans la furie rock’n’roll des sixties. 

"À l'époque, on n'avait pas le choix, c'était ou l'usine, ou le rock 'n roll." Johnny Hallyday

À la mémoire du rock s'ouvre sur un article de presse qui s'interroge sur le phénomène du rock.

Des jeunes gens attendent, rendus, désœuvrés, certains ont l'air grave, d’autres le sourire timide, devant l'entrée d'une surboum géante du rock. Johnny fait la couverture de Cinémonde. Le rock n'a pas encore dix ans.

Un piano classique accompagne leur attente avant de céder la place à la rumeur de la salle. Pourtant la musique rock ne s'entend qu'en fond sonore et les groupes ou vedettes annoncés sont effleurés (non cadrés ou filmés en ombre chinoise) par la caméra de Reichenbach (on aperçoit furtivement Eddy Mitchell des Chaussettes noires et Johnny dont Reichenbach fera un portrait vibrant et émouvant en 1972, Johnny Halliday ­ J'ai tout donné, produit par Braunberger). Le regard se porte vers les visages, les corps, les postures, les danses et les mouvements de la foule.

Le titre prend alors tout son sens : comme si la mémoire du rock se manifestait plus dans les corps, dans la cadence, le rythme et le battement de la danse que dans les prestations des vedettes de cette surboum géante ; comme si le mélange de révolte et d'évasion qui a vu naître le rock battait plus dans le cœur d'adolescents prêts à tout que dans les standards repris par les musiciens.

La caméra délaisse la scène pour filmer la salle traversée de secousses, de spasmes divers. Quelques policiers tentent de contenir les débordements. Pendant que les journalistes filment, photographient cette agitation, l'ordre public essaie de "polisser" et policer ce phénomène dont l'origine est justement dans la rupture avec les représentations d'un certain ordre social. C'est pourquoi mieux que le son direct de la surboum, ce sont les violons d'un quintette de Boccherini qui accompagnent la foule adolescence filmée par Reichenbach et cela, nous n'en doutons pas, pour l'amour du rock, pour l'amour de la musique.

Yann Goupil

Article paru dans Bref n°48, 2001.

Réalisation et scénario : François Reichenbach. Image : Jean-Marc Ripert. Montage : Guy Gilles et Jacqueline Lecompte. Son : Bernard Meusnier. Production : Les Films de la Pléiade.