Web et TV 30/11/2020

Sébastien Lifshitz nous offre un très grand film : Petite fille

Diffusé en prime-time sur Arte ce mercredi 2 décembre, le nouveau long métrage documentaire de Sébastien Lifshitz est aussi à voir en ligne sur Arte.tv depuis le 25 novembre et jusqu’au 30 janvier 2021. Disons-le sans fard : c’est une pure merveille !

On aurait presque un scrupule au moment d’écrire sur Petite fille, le dernier opus documentaire de Sébastien Lifshitz, saisi par le doute de savoir l’approcher et l’évoquer à la hauteur qu’il mérite. Car Petite fille est, avant tout, une œuvre bouleversante et ce que son réalisateur parvient à saisir tient parfois – souvent, même – du miracle. Sébastien Lifshitz filme Sasha, qui sait depuis toujours – en tout cas ses 3 ans – être une fillette née dans un corps de garçon. La dysphorie de genre – le terme scientifique désignant la transidentité – a, sauf erreur de notre part, été peu traitée au cinéma à un si jeune âge et l’auteur de Bambi a décidé de l’explorer à travers celle qu’il filme, pour qui l’empathie est immédiate, inconditionnelle, profonde. Pourtant, fidèle à sa démarche documentaire, le cinéaste ne souligne jamais la moindre scène, fuit le pathos comme la peste et trouve sa place aux côtés – tout près – de Sasha et de sa mère, Karine, l’autre pôle majeur sur lequel s’articule le récit, car il y en a un dans le film : celui d’un combat permanent, épuisant, injuste la plupart du temps, contre les idées reçues, les conventions, les pesanteurs institutionnelles, la bêtise ordinaire.

C’est là que le miracle précédemment évoqué est perceptible et il ne tombe pas non plus du ciel, s’expliquant directement par la confiance qui lie si étroitement le trio – Lifshitz lui-même et celles qu’il filme ; la caméra cadre Sasha et se fait le témoin de son émotion en entendant une adulte enfin compréhensive – une pédopsychiatre de l’Hôpital Robert-Debré – lui parler justement de son ressenti au quotidien. On n’est pas près d’oublier ses yeux qui, alors, s’embuent peu à peu, en même temps que les nôtres, du reste.

Faire reconnaître comme étant de sexe féminin une enfant de 7 ans née avec un zizi, c’est plus qu’un parcours du combattant pour cette mère-courage qui force l’admiration et le respect, bien sûr. Mais le projet ne se limite pas à filmer ce duo et on apprécie de voir apparaître plus loin dans le montage le père de Sasha, sa sœur aînée et son frère , qui soutiennent indéfectiblement et prennent même leur part, de façon toute naturelle, de cette lutte familiale. Ce n’est pas si facile, sans doute, pour un garçon approchant de l’adolescence de faire fi des moqueries liées à ce qu’exprime cette petite sœur que tant d’autres considèrent autrement… L’exemplarité de cette famille aimante se reflète parfaitement dans l’approche du réalisateur, qui parvient franchement à faire avancer les choses et aider à évoluer, espère-ton, les mentalités en interrogeant chacun intimement et sans brusquerie, en convoquant ce qui est sans doute le meilleur dans le cœur et l’âme humaine à une époque où les bas instincts sont, à l’inverse, si aisément et systématiquement flattés dès qu’il est question d’une quelconque “‘différence” supposée. Notre besoin de tolérance, sociale ou individuelle, n’a jamais été aussi fort…

Les invisibles, Bambi, Les vies de Thérèse et aujourd’hui Petite fille : une œuvre documentaire d’une importance majeure s’enracine, film après film, sans oublier également Adolescentes, évidemment, sorti en salles en septembre et qui montrait lui aussi que tout n’est pas perdu, qu’un regard intelligent peut réveiller la nôtre, trop facilement endormie. C’est ce qui est aussi attendu du cinéma tel que nous entendons l’aimer et le défendre. Grâce – un terme clé ! – en soit rendue à celui que nous avions pu rencontrer longuement dans Bref n°124 (mars 2019, toujours disponible en ligne), en amont d’une rétrospective, doublée d’une exposition, qui avait été organisée au Centre Pompidou.

Christophe Chauville


Petite fille
sera diffusé sur Arte le mercredi 2 décembre 2020 à 20h50 et pourra être visionné sur Arte.tv jusqu’au 30 janvier 2021.

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