News 28/07/2021

Hommage : Jean-François Stévenin (1944-2021)

C’est une grande figure du cinéma français qui s’est éclipsée en la personne de Jean-François Stévenin. On n’est pas près de l’oublier…

En pleine préparation de la rubrique “Histoire d’un court” de Bref 125, Jean-François Stévenin nous avait reçu dans son nouveau quartier du nord de Paris, celui de “L’Olive”, pour parler de Lune froide (photo ci-dessous, en haut), de Patrick Bouchitey, avec qui il avait entretenu des relations orageuses, sur le plateau et en dehors.

En terrasse, bien calés près d’un mur du Marché couvert de La Chapelle, devant un ballon de rouge et un café en parfait diptyque de milieu d’après-midi, il avait raconté, et beaucoup débordé, imité Bébel, Godard ou “le gros Gérard”, parlé de Truffaut, de Roland Blanche, de ce “salaud de Pialat”, d’Ursula Meier ou de Xavier Giannoli. Un sacré bon imitateur, d’ailleurs, et un conteur hors pair. Voir le portrait, assez insolite, que lui a consacré récemment Laurent Achard (Jean-François Stévenin - Simple messieurs, présenté à Pantin le mois dernier, photo ci-dessous, en bas), un vrai régal.

Jean-François Stévenin s’en est allé, donc. À 77 balais, comme il disait. Trop tôt, bien sûr. Il en avait encore beaucoup sous le capot. Et il en avait envie, en plus, parlant du tournage d’Illusions perdues – de Giannoli, donc, à sortir en fin d’année – comme de celui où il s’était senti le plus heureux de sa vie. Et il en a pourtant connu, des plateaux… Ceux de Truffaut, d’abord, comme assistant, puis comme acteur.

C’est lui qui avait trouvé le décor du lac pour Les deux anglaises et le continent, au début des années 1970. Dans le Jura, bien sûr. Où il était né, juste à la fin de la guerre, en 1944 (à Lons-le-Saunier, on dit seulement “Lons”…) et où il avait ses habitudes, pas loin du beau et sauvage lac de l’Abbaye, de Grande-Rivière et du hameau des Chauvins, ce “pays du chien qui chante” où il avait filmé son Passe-montagne, premier film très estimé des cinéphiles et où il exprimait une voix de cinéaste si singulier, sans références pesantes, même s’il adorait Cassavetes, comme chacun sait. Double messieurs et Mischka allaient suivre, et c’est finalement tout, et très peu pour une telle personnalité créative.

Mais il aimait prendre le temps, sans doute, et vivre les choses à fond, au cinéma et surtout dans la vie, patriarche d’une famille d’acteurs et actrices parfois dilettantes (Sagamore, Robinson, Salomé et Pierre), ami proche de la veuve de Céline ou de Johnny, interprète virtuose et inclassable, qui en remontrait facile aux grands seconds rôles américains (à ce titre, se rappeler de lui dans Les patriotes, le meilleur film d’Éric Rochant, ou dans Des épaules solides, fiction TV d’Ursula Meier, en entraîneur d’athlétisme). Il avait même joué au foot devant la caméra de John Huston, avec le roi Pelé lui-même, dans À nous la victoire, en 1981. Il s’en souvenait d’ailleurs récemment dans un canard gratuit jurassien où il qualifiait au passage Stallone, un autre de ses partenaires, de gros con.

On ne pouvait que l’aimer, Stévenin… Sacré bonhomme, sûr. Érudit malgré lui, presque. Et généreux avec ceux qu’il prenait sous son aile, comme ces jeunes cinéastes pour qui il disait banco pour un court métrage. Dernièrement, Adèle Beaulieu pour son film d’école en noir et blanc de l’Écal, tourné en Suisse : Les enfers (photo ci-dessus). Plus loin, il y avait eu une apparition dans Adieu Molitor, de Christophe Régin, et aussi Le vacant, de Julien Guetta, un rôle magnifique dans lequel il l’était tout autant. Et puis, pour boucler la boucle, le personnage de Simon dans Lune froide, c’était quelque chose. Du grand art. Un fou et un poète à la fois, inquiétant et esthète, timbré et émouvant.

Dans le Jura, l’article défini est toujours de mise quand on parle de quelqu’un, que ce soit ceux qu’on aime ou qu’on connaît de loin : hé ben, le Stévenin, il va laisser un vide. Un gouffre, même. Bacri et lui la même année, c’est rude.

Christophe Chauville

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