News 18/02/2021

Films Grand Huit grandit quatre à quatre

Fondée en septembre 2014 par Pauline Seigland et Lionel Massol, Films Grand Huit avait par le passé remporté le Label nouveau producteur de la Maison du film (en 2015) et le Prix France Télévisions du jeune producteur (en 2017). Le Prix Procirep vient confirmer ces distinctions, ce qui justifiait amplement d’interroger ce duo toujours hyper actif et débordant de projets.

Que représente pour vous ce “Prix Procirep du producteur de court métrage” décerné par vos pairs durant le Festival de Clermont-Ferrand ?
 
Ce prix vient nous dire quelque chose de fondamental dans cette drôle d’année : “Continuez à avancer, c’est hasardeux, mais vous êtes sur la bonne voie !” Les producteurs qui nous ont ouverts la voix (Takami, Offshore, JPL, etc.) autant que les producteurs qui sont nés récemment, en même temps que nous (Les Films Norfolk, Les Valseurs, Miyu Productions, Insolence…) forment une constellation. C’est une sorte de famille, que l’on retrouve régulièrement dans les moments de joie, mais aussi dans l’adversité. Cela nous touche infiniment parce que l’exigence des gens qui exercent le même métier est grande !

Notre société a six ans, nous travaillons dur depuis plusieurs années pour élaborer, en compagnie des réalisateurs et réalisatrices avec qui nous collaborons, des filmographies pertinentes au fil des films.

Avec le temps, les graines plantées au tout début de la création de Grand Huit commencent à donner des fruits : c’est un travail au très long cours.


 
Trois de vos productions les plus récentes ont également été primées à Clermont-Ferrand, soit dans le cadre d’une première collaboration (Les mauvais garçons d’Élie Girard et Malbeek d’Ismaël Joffroy Chandoutis), soit d’une seconde (The Nightwalk d’Adriano Valerio, photo ci-dessus) : que diriez-vous du travail respectif avec ces réalisateurs ?
 
Il s’agit avant tout d’histoires humaines. Le point commun de ces collaborations – et de toutes les autres, d’ailleurs –, c’est que tout se construit avec du temps. Nous suivons Élie Girard depuis déjà plusieurs années, la première fois que nous l’avons rencontré, c’était il y a plus de dix ans. Il a collaboré à l’écriture et l’image de plusieurs films que nous avons produits. Très vite, nous avons pu observer combien il était un allié très précieux pour les réalisateurs. Au fil du temps, nous l’avons accompagné, encouragé, dans ses velléités de réalisation. Ce qui le caractérise le mieux, c’est sa précision, l’acuité de son regard : rien n’est jamais laissé au hasard.

Il en est de même avec Adriano Valerio, dont Pauline avait produit l’un des premiers courts, avant même la création de Grand Huit… Ensuite, nous avons fait Mon amour, mon ami, sélectionné notamment à Venise et à Toronto. Le travail avec Adriano est passionnant ; très souvent, ses films se découvrent au fur et à mesure de leur fabrication. Ils sont donc amenés à être financés sur nos fonds propres et c’est dès lors sur la confiance du geste de – grand – cinéaste qu’il est que nous avançons avec lui. Nos liens avec ces deux réalisateurs sont très ancrés et très solides. Nous les accompagnons d’ailleurs tous deux sur le chemin du long métrage.

Quant à l’autre film produit par Grand Huit et qui a gagné deux prix à Clermont-Ferrand, Maalbeek (photo plus bas), Ismaël Joffroy Chandoutis est notre rencontre forte de l’année ! Nous avions été bouleversés par son film fabriqué au Fresnoy, Swatted, et cela fait déjà quelques temps que nous lui avions exprimé notre désir de travailler avec lui. C’est d’abord autour d’un projet de long que nous avons commencé le travail ensemble et ce court métrage est arrivé après.
 
Votre site mentionne de nombreux projets en développement ou en production, y compris sur le front du long métrage : comment envisagez-vous ce changement d’échelle de l’activité de la structure et comment se traduit-il concrètement ?
 
En effet, cette année est vraiment charnière. Mais depuis la création, nous avons toujours eu une vision à long terme et chaque collaboration a été tissée dans l’idée de quelque chose de plus grand par la suite. 

Pour preuve, le tout premier court de Grand Huit était celui de la réalisatrice franco-colombienne Camila Beltrán, dont avons produit cette année un autre court qui était à Locarno et dont le long métrage est en cours de financement. Ce projet a d’ailleurs reçu le Prix Arte à San Sebastian. Déjà soutenu en Colombie par Proimágenes, le film se tournera cette année. Tout comme le premier long métrage de Giacomo Abbruzzese, Discoboy, entre La Réunion, la Pologne et l’Île-de-France. Le film est entièrement financé – à plus de trois millions, fait rare pour un film sans tête d’affiche et aussi ambitieux. Nous avons dû repousser le tournage à l’automne, pour cause de pandémie, car c’est un film très complexe en fabrication, avec beaucoup de déplacements et un casting international.

Nous continuons également d’accompagner plusieurs autres réalisateurs dans leur passage du court au long métrage. Parmi eux, Rémi Allier, Jonathan Millet, Marie Le Floc’h et Mareike Engelhardt… Et c’est donc à Jules Reinartz, avec qui nous travaillons depuis quelques années, que nous avons davantage confié le pôle “court métrage”. Concrètement, c’est donc une évolution que nous voulons vertueuse : des bureaux un peu plus grands, une organisation un peu mieux pensée, une visibilité financière un peu plus large, mais fondamentalement la vérité, c’est toujours que le cinéma d’auteur est une aventure très risquée et que cela se pratique pourvu qu’on ait le goût du risque !


 
Vous avez ouvert en 2020 un second site en Bretagne : quelles en sont les raisons et, si c’est déjà visible, quels bénéfices en tirez-vous ?

L’appel du large, quelle question ! Originaire de la région, Pauline a déménagé à Saint-Pierre-Quiberon il y a un an. Depuis longtemps, nous rêvions d’une “succursale Grand Huit” au bord de l’eau et, grâce à l’une de nos associées, notre rêve est devenu réalisable. Le lieu est modeste, mais nous permet d’accueillir 6 auteurs à la fois durant la période de développement de leurs scénarios.

Nous avons également installé une station de montage image. Nous n’avons absolument pas vocation à devenir prestataire : ce lieu est uniquement destiné aux auteurs de Grand Huit qui souhaitent profiter de ces opportunités de résidence en écriture et en post-production. Souvent, nous nous demandons ce qui fait la qualité d’une maison de production. Et notre réponse, c’est que c’est idéalement un espace de travail libre et structuré, qui doit permettre de créer un climat favorable à l’éclosion de films singuliers. Dans cette maison qui porte le nom de Grand Huit, on doit pouvoir s’émouvoir, frissonner, s’amuser, s’imaginer, rêver, palpiter, crier… comme dans des montagnes russes ! Et la raison principale, la voici, en fait : à Quiberon, il est plus facile de crier qu’à Paris…
 
Après le César obtenu par Les petites mains de Rémi Allier en 2019, une autre de vos productions, Je serai parmi les amandiers, figure parmi les nommés aux prochains César…

Nous sommes émus que les membres de l’Académie aient été touchés par ce film d’une grande délicatesse et malgré tout très puissant. Cinématographiquement parlant, on pourrait le situer à la croisée du travail de Samuel Collardey (pour le dispositif narratif entre fiction et documentaire) et de celui d’Asghar Farhadi (pour les dilemmes moraux impossibles qui traversent les personnages).

Sa singularité et sa force, c’est de parler des réfugiés politiques non pas comme si leur statut administratif dictait tous leurs choix, mais bel et bien comme des personnes complexes à part entière – avec leurs doutes, leurs désirs, leurs histoires d’amour, leurs contradictions. Et sa réalisatrice Marie Le Floc’h développe actuellement son long métrage dans cette même dynamique de “fictionnalisation” transcendant le réel.


 
Quels seront les prochains films achevés et qu’en est-il du projet de sortie en salles du film d’animation La vie de château ?
 
Cette année, nous poursuivrons en effet la très belle aventure de La vie de château, de Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi. Suite à la folle carrière de ce film, Gebeka Films le sortira en salles dès qu’elles rouvriront. Le film a déjà été très apprécié des exploitants et nous attendons une nouvelle date.

En attendant, on ne s’ennuie pas non plus de ce côté-là puisque l’École des Loisirs vient d’en éditer une adaptation littéraire, et surtout Clémence et Nathaniel concoctent pour France Télévisions cinq nouveaux épisodes de 26 minutes qui constitueront la suite des aventures de Violette et Régis dans le Château de Versailles…
Une autre sortie en salles est prévue cet été, celle des Mauvais garçons, qui sera distribué par Tandem Films, accompagné de Pauline asservie de Charline Bourgeois-Tacquet dans un programme intitulé Tous les garçons et les filles. Nous sommes infiniment heureux de ces deux sorties, très rares pour les formats courts ou moyens : décloisonner le court – et donc sa diffusion – est quelque chose qui nous anime chaque jour.

Enfin, deux réalisateurs dont les noms vous seront sans doute familiers œuvrent en ce moment sur les bancs de montage de Grand Huit. D’un côté, Arthur Cahn nous tisse une ode à l’oisiveté et de l’autre, Giacomo Abbruzzese prépare notre plongée en apnée dans les bas-fonds de Tarente : un grand écart, donc !

Propos recueillis (par mail) par Christophe Chauville

 
Photo de bandeau : Jules Reinartz, Pauline Seigland et Lionel Massol / © Aurélie Delvenne.

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- Le palmarès du 43e Festival du court métrage de Clermont-Ferrand.

- Ikki Films, lauréat du Prix Procirep 2020.