Festivals 29/07/2021

Trois souvenirs de Cannes

Chaque sélection de cette édition 2021 du Festival de Cannes a proposé une vision singulière du court métrage, offrant trois gestes de programmation très différents. Telle est la conviction de l’une de nos rédactrices ayant fait le déplacement.

Une histoire de filiation empêchée se détachait de la sélection de la Semaine de la critique et de ses 10 courts métrages d’horizons très divers, tant géographiquement que formellement. Lili toute seule de Zou Jing (photo de bandeau) fait le portrait d’une jeune mère qui quitte son enfant et son foyer à la campagne pour gagner sa vie comme mère porteuse dans un centre où à la gestation pour autrui est traitée à la chaîne. Zou Jing, tout à son souci de se montrer fidèle aux témoignages qu’elle a collectés pour écrire son scénario, reste dans le sillage de son personnage féminin, aussi seule et silencieuse que courageuse. Elle porte un regard doux sur sa comédienne non professionnelle qui est de quasiment tous les plans. Serrée dans un cadre carré, Lili encaisse silencieusement toutes les déconvenues qui la détournent de son idée fixe : porter la vie pour un autre couple afin d’assurer celle de son fils qu’elle a quitté pour une année entière.

Avec sobriété et rigueur, la cinéaste cherche à chaque plan la bonne distance entre sa caméra et le corps de sa protagoniste, entre son personnage et l’immensité du pays dans lequel elle habite. De la Chine, on connaissait déjà, pour l’avoir vu chez Wang Bing notamment, le phénomène des migrations économiques qui poussent des jeunes gens à traverser le pays pour vendre leur force de travail à des milliers de kilomètres de chez eux. Lili toute seule pousse à l’extrême l’asservissement du corps à la loi du marché de cette industrie souterraine qui fait du corps même des travailleurs la matière à vendre.


 
La compétition officielle offrait un tour du monde d’un cinéma narratif maîtrisé. On en retient la simplicité d’Haut les cœurs d’Adrian Moyse Dullin (photo ci-dessus), dont l’intrigue tient dans la règle tragique des trois unités : dans le bus qui ramènent les collégiens après les cours, Mahdi, inhibé par le regard des autres, n’ose déclarer son amour à Jada. Hésitant, il ne sait pas s’il doit suivre les conseils de ses aînées plus expérimentées ou faire confiance à sa timidité.

Dans ces fragments contradictoires du discours amoureux se construit une dialectique de ce que l’on montre et de ce que l’on cache à un âge et dans une époque où les réseaux sociaux et l’instinct grégaire incitent à tout montrer. Que faire, alors, de la pudeur ?


 
Six ans après Exquisite corpus, Peter Tcherkassky revenait à la Quinzaine des réalisateurs avec Train Again, seul film de tout le festival, toutes sélections confondues, à être projeté en 35 mm, en apothéose d’une séance aux formes résolument contemporaines.

Le cinéaste autrichien rend hommage aux variations sur un motif que menait autour de l’arbre du réalisateur expérimental Kurt Kren dans Tree Again tout en poursuivant son travail sur la relation entre train et cinéma initiée dans L’arrivée (1997). Tcherkassky collecte des plans de trains dans toute l’histoire du cinéma, de L’arrivée d’un train… des frères Lumière (dont il gomme malicieusement les wagons pour ne laisser voir que le quai rempli de passagers) à Unstoppable de Tony Scott. Il reste fidèle à sa méthode de développement image par image à l’aide d’un pointeur optique qui duplique les plans et va chercher au plus sensoriel des émotions du spectateur avec la course folle du train mené par la partition musicale bruitiste de Dirk Schaefer qui s’emballe jusqu’au déraillement. Celui de la locomotive, mais aussi l’emballement des sensations provoquées par la palpitation de la pellicule.

Raphaëlle Pireyre

 
À voir aussi :

- Un entretien vidéo avec Lucas Tothe (Punchline Cinéma), producteur d’Haut les cœurs.

- La photo de Zou Ling sur son festival de Cannes.

À lire aussi :

- Le palmarès du Festival de Cannes 2021.