Festivals 21/03/2023

Rencontre : Jackie Buet, fondatrice et directrice du Festival de films de femmes de Créteil

Alors que la 45e édition du FIFF approche, sa créatrice et déléguée générale Jackie Buet a répondu à nos questions, en attendant, à partir du 29 mars, une programmation en forme de carte blanche sur Brefcinema.

Pouvez-vous revenir sur les circonstances et motivations de la naissance du festival ?

Nous étions à Sceaux et Élisabeth Tréhard, alors directrice du Centre culturel Les Gémeaux, avait convaincu son Conseil d’administration de créer un évènement cinématographique dédié aux femmes. Une grande première ! Je me souviens que nous nous disions alors que l’aventure ne durerait que cinq ou six ans, le temps de permettre aux grands festivals de donner une place aux réalisatrices...

Je me souviens d’Ula Stockl, Helma Sanders-Brahms, Margarethe Von Trotta, Jutta Bruckner, Ulrike Ottinger et tant d’autres réalisatrices allemandes venues pour le premier festival, en 1979. Une révélation pour la France, qui ne connaissait du jeune cinéma allemand que Fassbinder, Wenders, Schlöndorff ou Schroeter...

Que retiendriez-vous du chemin parcouru depuis la création, sur ce qui a changé, ce qui reste à accomplir, des espoirs qui vous guident toujours ? En quoi le festival a-t-il joué un rôle de vivier pour les femmes cinéastes ? Quels noms de réalisatrices passées par Créteil auriez-vous envie de citer ?

Depuis 45 ans, le Festival international de films de femmes de Créteil montre la révolution féminine en 24 images par seconde. Lieu de rencontres professionnelles, de réflexion, d’élaboration et de production de projets, témoin de débats historiques, attentif aux engagements artistiques, politiques et sociaux des femmes sur tous les continents, le Festival est un laboratoire d’idées.

Je me souviens des Françaises – Agnès Varda, Coline Serreau, Jeanne Labrune, Charlotte Silvera, Tonie Marshall, etc. – et des Allemandes, une année où nous les avions réunies sur le thème “Les filles, des ennemis héréditaires”. On parlait encore très peu de l’Europe, et pourtant, cette génération avait commencé la réconciliation !

Je me souviens des films russes arrivant en bidon de l’Union soviétique par la compagnie Aeroflot et de nos contacts avec GosKino, derrière le Rideau de fer. Je me souviens de Kira Mouratova, invitée d’honneur au festival pour la rétrospective de son œuvre, jusque-là interdite. Je me souviens avoir tenté de la présenter à la direction de Cannes pour qu’elle soit invitée dans ce festival plus prestigieux, comme elle le méritait. Sans suite...

Je me souviens d’Angela Davis, marraine de la section “Images de femmes noires”. Entourée de cinéastes importantes telles que Sarah Maldoror et Safi Faye, elle nous a permis, lors d’un débat public historique, de faire le parallèle entre racisme et sexisme.

Je me souviens de Marceline Loridan et de sa chevelure flamboyante, contribuant de toute sa force aux débats sur la Shoah et Auschwitz.

Je me souviens de Carole Bouquet, Charlotte Rampling, Josiane Balasko, Juliette Binoche, Dominique Blanc, venues rencontrer le public. Et de Maria Félix arrivant en Rolls sur la place Salvador-Allende accompagnée de musiciens mexicains !

Tous ces souvenirs nous engagent aujourd’hui à continuer la mission que nous nous étions fixée : la reconnaissance et la diffusion auprès du public d’un cinéma fait par les femmes. Un cinéma qui témoigne à la fois de leurs origines culturelles, de leur solidarité et de leur désir d’émancipation.

De quelle façon ce 45e anniversaire sera-t-il célébré dans le cadre de cette édition 2023 ?

Pour cette édition anniversaire, que nous avons intitulé “La Fabrique de l’émancipation”, le FIFF a à cœur d’offrir des paroles de grandes personnalités et de réalisatrices dont l’œuvre et l’engagement s’inscrivent parfaitement dans cette ligne éditoriale. Nous avons l’immense plaisir d’accueillir l’historienne Michelle Perrot lors d’un colloque ; l’écrivaine française, prix Nobel de littérature 2022, Annie Ernaux qui nous fait l’honneur d’accompagner la réalisatrice Michelle Porte autour du film Les mots comme des pierres. Annie Ernaux, écrivain (2014) lors d’une soirée événement, et, parmi les nombreuses réalisatrices qui accompagneront cette édition spéciale, trois femmes engagées et talentueuses, trois artistes qui offrent des parcours qui ont valeur d’exemple et qui incarnent cette révolution du cinéma au féminin : Agnès Jaoui, Rebecca Zlotowski et Coline Serreau.

Le Festival souhaitait également partager avec le public son par­cours historique en valorisant ses fonds d’archives, et propose une section qui reflète l’identité même du Festival, un florilège de 45 films puisés dans son matrimoine, choisis par l’équipe de programmation et par le public via un formulaire participatif : 45 ans/45 films. Le public a choisi de revoir La femme de l’hôtel (A Woman in Transit) de Léa Pool, un film canadien de 1893.

L’équipe du festival a choisie d’inviter deux invitées historiques du festival : la réalisatrice américaine Lizzie Borden, qui présentera ses trois films – Regrouping (numérisé en 2022 et donc enfin visible), Born in Flames (restauré en 2016) et Working Girls (restauré en 2021) – formant ce qu’il faut désormais appeler la “trilogie des féminismes new-yorkais”, une plongée passionnante dans les années 1980, et la réalisatrice Margarethe von Trotta, figure majeure du cinéma allemand contemporain, qui accompagne le Festival international de films de femmes autant que le festival l’accompagne. Il nous a semblé évident de profiter de la restauration récente de quatre de ses films par Splendor films pour lui rendre hommage à l’occasion de cette édition anniversaire, avec trois films qui seront projetés au Cinéma La Lucarne : Le second éveil de Christa Klages (1978, photo ci-dessus), Les années de plomb (1982) et Rosa Luxemburg (1986).

Sans oublier l’hommage à  Musidora (Grande Classique), à travers de nombreux invités qui reviendront sur cette pionnière et grande figure féminine de l’histoire du cinéma, et la présence de la réalisatrice Julie Bertuccelli qui présentera, en soirée d’ouverture, Jane Campion, la femme cinéma (photo ci-dessous), un beau portrait qui déroule avec pertinence le fil d’une passionnante carrière et d’une personnalité à part, et qui sera, nous l’espérons, un clin d’œil à notre 46e édition.

Que diriez-vous des trois films que vous avez choisis de programmer en ligne dans le cadre de la carte blanche que vous a proposée Brefcinema ?

La mésange de Catherine Corsini (1982) :

A chaque fois que nous présentons le court métrage d’une réalisatrice, nous avons l’espoir que ce soit le premier jalon d’une longue et brillante carrière. C’est le cas avec La mésange, premier court réalisé par Catherine Corsini, en 1982 ; une réalisatrice que nous avons retrouvé dix ans plus tard pour son long métrage Interdit d’amour (1992) et dont nous suivons depuis la brillante trajectoire dans le paysage du cinéma français. Cette Mésange sera notre messagère pour lui proposer de revenir à la MAC de Créteil, en 2024, pour partager avec nous son parcours inspirant et engagé de femme et de réalisatrice !

Marée haute de Caroline Champetier (1999) :

Nous connaissons bien Caroline Champetier, cheffe opératrice venue plusieurs fois au festival – notamment en 2000, lorsque nous avions organisé un focus sur ce métier alors encore peu investi par les femmes – et nous étions curieuses de découvrir le travail de réalisatrice de cette grande spécialiste de l’image. Nous n’avons pas été déçues ! La lumière de Marée haute est, bien évidemment, très belle, mais c’est avant tout un film d’acteur – ou plutôt d’actrice, puisque la prestation de Sylvie Testud y est magistral – et un film de texte… Il n’y a donc pas de hasard à ce qu’elle soit encore une fois liée à notre programmation, puisque Caroline est la cheffe opératrice du film de Michelle Porte Les mots comme des pierres. Annie Ernaux, écrivain, que nous présenterons jeudi 30 mars à 19h, en présence de l’écrivaine française, prix Nobel de littérature 2022 !

Enfin, pour la période récente, nous avons choisi de montrer le film qui a reçu le Prix du public du festival de l’an dernier : Sortie d’équipe de Yveline Ruaud. Ce documentaire illustre la réflexion de quatre jeunes hommes au sujet de leur place dans l’espace public, et il nous semble intéressant d’avoir la parole de ces garçons à travers le regard de cette réalisatrice.

Propos recueillis (par mail) par Christophe Chauville

À lire aussi :

- Au menu du 45e Festival international du film de Créteil.

- Le palmarès du FIFF 2022.