Festivals 26/04/2022

“Music & Cinema” : du neuf du côté du Vieux port !

Nous étions partenaires de l’édition 2022 du Festival Music & Cinema, organisé à Marseille pour la première fois. Deux de nos collaboratrices s’y sont rendues et en ramènent un compte-rendu sélectif rédigé à quatre mains.

Une renaissance dans sa troisième décennie, c’est le luxe que se paie le foisonnant Festival Music & Cinema, accueilli pour la toute première fois à Marseille au début du mois d’avril après 22 éditions passées chez sa petite voisine Aubagne.

Le rendez-vous immanquable de la création sonore pour l’image débute un nouveau cycle de vie dans les salles et le conservatoire de la cité phocéenne. Son palmarès a distingué nettement cette année des œuvres attentives aux frontières poreuses du genre et aux questions féministes. La compositrice Julie Roué (Une femme du monde actuellement en salles, mais aussi Jeune femme, Perdrix, Le parc...), membre du Collectif 50/50 officiant dans le jury court, prononçait lors de la cérémonie de clôture un discours engagé, rappelant l’urgence de rétablir la parité dans une profession exercée dans son immense majorité par des hommes. Retour sur les huit courts métrages primés ce 9 avril dernier au terme d’une semaine de compétition dense proposant au total une soixantaine de films.

Le coup de cœur du public, Paloma d’Hugo Bardin, remporte le Grand prix pour la meilleure musique originale. En interprétant lui-même le personnage de Paloma, le réalisateur dresse un portrait festif de l’univers du drag, une partie intégrante de sa vie. Dans un road trip atypique, il met en scène la rencontre fortuite de personnages que d’ordinaire tout oppose : une drag-queen haute en couleur, et un routier solitaire. Au fur et à mesure qu’ils s’apprivoisent, Hugo Bardin s’affranchit de la frontière entre masculinité et féminité, virilité et vulnérabilité, en défendant ainsi la liberté de créer toutes les fantaisies. Il dévoile un film empreint de sensibilité et de pudeur, aux enjeux toujours actuels dans la représentation des cultures queer.

Récompensée par le Prix Maritima TV/Med in Doc, Juliette Klinke expose avec le documentaire Dans le silence d’une mer abyssale l’invisibilisation des femmes dans l’histoire du cinéma, où s’origine sa propre difficulté à trouver des modèles auxquelles s’identifier en tant que jeune cinéaste. Avec ce film de montage entièrement construit à partir d’extraits d’œuvres réalisées par les pionnières du début du vingtième siècle, Juliette Klinke déplie dans une voix off à la première personne la construction de son propre regard d’étudiante, marqué par les influences manquantes. Loïs Weber, Lotte Reininger, Tressie Souders... Autant de noms oubliés des livres d’histoire, inconnus du grand public malgré leur contribution si prolifique à la naissance de l’art cinématographique.

Dans un esprit méthodique et didactique qui contraste avec le lyrisme de son titre, Dans le silence... plonge en eaux clandestines pour exhumer une à une ces artistes classées confidentielles. La pêche est fertile ; Juliette Klinke se livre ainsi à un exercice d’admiration doublé d’une entreprise de réhabilitation de ces consœurs, ainsi que d’une réflexion sur les critères qui ouvrent la voie à la postérité ou en interdisent l’accès. Le design sonore de Lise Bouchez, atmosphérique et plein de suspense, évoquant les profondeurs sous-marines, accompagne les réflexions de ce film militant nécessaire et particulièrement réussi.

Dans un même élan féministe, le Prix du meilleur documentaire récompense une animation franco-slovène qui donne également la parole à des voix de femmes effacées, tombées dans l’oubli. Dans La vie sexuelle de mamie (visuel ci-dessus), Urška Djukić et Émilie Pigeard remontent elles aussi aux débuts du XXe siècle, cette fois pour exposer le viol conjugal et sa banalisation dans la société slovène de l’époque, à travers les témoignages de quatre femmes. Le trait brut et épuré de son animation traduit la colère de ses auteurs.

Une autre animation, Spiegeling (Reflection en version anglaise), de la cinéaste néerlandaise Sanna de Vries remporte le Prix Short Film Corner qui lui vaut un pré-achat ainsi qu’une invitation au Festival de Cannes. En quatre minutes ultra percutantes, Spiegling (visuel ci-dessous) met en scène un petit personnage, Fiep, habitante d’une maison croulant du sol au plafond sous les miroirs, tel un véritable palais des glaces. Trop petite, trop grande, jamais comme il faut, l’image de ses défauts l’obsède et ne la quitte plus. Fiep s’enfuit dans l’hiver pour échapper à ces milliers de reflets déformés et parviendra à se plonger dans une neige salvatrice qui lui rafraîchira les idées. Des cuivres jazzy grinçants et des percussions rythment cette vignette punchy et nous parlent eux aussi de l’omniprésence du selfie comme de la pression qui pèsent sur l’apparence des femmes.

Pour la meilleure création cinématographique germanophone, c’est Selina (photo de bandeau), premier film de la jeune cinéaste Greta Benkelmann, qui a été retenu. Suivant la même thématique, son récit donne une voix à l’émancipation des femmes sous le joug des violences conjugales. Elle met en scène deux personnages féminins, Selina et Katharina, qui se rejoignent autour de la question : qu’est-ce que l’amour doit tolérer ? La réalisatrice évoque la complexité de cette réponse à travers leurs parcours semé d’embûches.

Dans un autre registre, le prix consacré à l’Animation revient à Little Ox, un film de Patrick Vandebroeck et Raf Wathion qui se démarque aussitôt par son esthétique impressionniste. Derrière ce qui s’apparente à l’introduction d’un simple documentaire animalier, les réalisateurs composent un tableau vivant dans lequel l’animation devient presque contemplative. La caméra capture l’immensité des plaines enneigées de la toundra, jusqu’aux fourrures des bœufs musqués ondulant au rythme des respirations et des bourrasques. En quelques minutes, le film offre par sa maîtrise technique des moments de grâce visuelle, sublimés par une bande son contemporaine et dissonante qui immerge le spectateur au cœur de la tempête, entre quiétude et agitation.

Impressionnant de maîtrise, le cinquième film de Serhat Karaaslan, Les criminels (photo ci-dessus), quitte Marseille avec un Prix fiction qui vient s’ajouter à une multitude de récompenses reçues à travers le monde. Basé sur une histoire vraie, le réalisateur expose une règle archaïque toujours profondément ancrée dans les mœurs en Turquie. Au travers d’un jeune couple cherchant une chambre d’hôtel pour passer la nuit ensemble – mené par le duo de jeunes acteurs Deniz Altan et Lorin Merhart –, il sensibilise à une réalité méconnue en Occident, où l’amour est cantonné aux notions de famille et de mariage. Grâce à une impressionnante maîtrise du temps, du lieu et de l’action, l’atmosphère du film prend vite l’allure d’un thriller. Appuyé par une mise en scène anxiogène et oppressante, il confronte une jeunesse éprise de liberté à l’oppression de tout un pays. Son postulat éminemment politique et sociétal fait l’état des lieux des restrictions de la liberté individuelle, tout en laissant une lueur d’espoir aux générations futures.

Une mention spéciale à ce Prix fiction vient enfin colorer ce palmarès d’une touche d’humour loufoque, attribuée à un deuxième court français tourné en Arles : Erratum, de Giulio Callegari. On y suit le désarroi d’une archéologue confrontée à une inscription des plus contemporaines et improbables, gravée sur une fresque gallo-romaine. Cette comédie fonctionne comme une invitation cocasse à savoir parfois renoncer aux explications rationnelles et s’abandonner à l’acceptation du mystère.

Léa Drevon et Cloé Tralci

À lire aussi :

Le palmarès de Music & Cinema en 2021.

- Une femme du monde, de Cécile Ducrocq, disponible en DVD.