Festivals 14/09/2021

Mathilde Chavanne et les “Jeunesses d’aujourd’hui”

Initiée par Nelson Ghrénassia de Yukunkun Productions, la collection “Jeunesses d’aujourd’hui” regroupe cinq courts métrages signés de cinq cinéastes ayant travaillé pour l’occasion avec des comédiens du CNSAD.

Avec Simone est partie, Mathilde Chavanne fait travailler les jeunes corps de ses interprètes sur le vieillissement et tout ce que celui-ci entraîne d’oublis, de fragilité, de maladresses. Elle tire aussi des contraintes de tournage un work in progress qui laisse au spectateur la place de se questionner sur son propre rapport à l’âge. Nous l’avons rencontrée lors du dernier Festival de Cannes, où le film était présenté dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs.


 
À quel moment de l’élaboration du projet est apparu le dispositif de faire rejouer par de jeunes comédiens les gestes et situations de vos grands-parents à la fin de leur vie ?

J’étais assez ravie de la proposition de Nelson Ghrénassia, qui m’obligeait à procéder à l’envers de ce que l’on fait habituellement. Je devais me demander de quoi j’avais envie de parler dans ce film. Les contraintes étaient fortes : 15 000 euros de budget pour un tournage à Paris sur trois jours maximum. Juste avant le premier confinement, j’ai perdu ma grand-mère et j’ai été très émue par mon grand-père qui s’est retrouvé seul dans un EPHAD qu’il ne connaissait pas, avec son deuil, sa maladie d’Alzheimer. Le sort qui a été réservé aux personnes âgées à cette période relève d’un oubli volontaire qui est allé jusqu’au déni de l’enterrement. Le téléphone était alors mon seul lien avec mon grand-père et j’avais commencé à écrire une fiction très classique pour six jeunes gens dans laquelle les étudiants du Conservatoire interpréteraient des cousins qui reviennent dans une maison familiale à la suite d’un deuil. Mais c’était finalement assez banal. J’ai déconstruit tout cela pour m’amuser comme je l’avais fait avec Amour(s), dans lequel des enfants de 8 à 10 ans rejouent des scènes de la vie d’adultes.  

J’ai tenté d’imaginer ce qu’avait pu être la dernière année que mes grands-parents ont passée ensemble, alors très diminués physiquement. Une année faite de toutes petites choses. Le procédé de travestissement devait trouver le bon ton : l’important était de ne pas tomber dans la caricature ou le mime pour rendre hommage à ces personnes oubliées.


 
Comment avez-vous procédé à l’écriture ?

Je trouve vertigineux la façon dont les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer perdent l’usage de certains objets courants, comme mon grand-père qui ne sait plus boutonner sa chemise. Je voulais aussi écrire une scène avec une chute, car beaucoup de personnes âgées meurent comme ça ou perdent leur autonomie après être tombés. J’avais un canevas avec plusieurs scènes. Le tournage a commencé par deux jours dans un atelier blanc où nous avons fait de la recherche sur le mouvement, le corps… et j’ai laissé ces expérimentations dans le film.

Après le premier jour, j’ai eu un grand moment de doute. Le soir, j’ai eu l’idée d’appeler mon grand-père avec les comédiens. La pertinence et la simplicité de sa parole ont créé un moment fort pour toute l’équipe et son émotion a imprégné les comédiens. En entendant cette voix au téléphone, j’ai su que le film était en train de se trouver. J’ai beaucoup raconté ma vie aux acteurs. Je me mettais autant à nu qu’eux quand ils jouaient. Pendant les deux premiers jours, on a cherché en faisant plein de tentatives en allant de la plus sobre avec un corps neutre et une voix blanche à la plus jouée et la plus osée. J’ai intégré au montage (que j’aime bien faire seule pour avoir une certaine intimité avec le matériau filmé) la même scène jouée par plusieurs duos.


 
Simone est partie n’est pas qu’un film sur la vieillesse et la disparition. C’est aussi un film sur l’amour…

Oui, le film parle de l’amour que je porte à mes grands-parents, mais aussi de leur histoire d’amour, même si leur relation a toujours été houleuse. Cela parle de solitude à deux. La maladie d’Alzheimer efface les souvenirs immédiats, mais fait remonter les sentiments avec beaucoup de force : les dernières années de mes grands-parents ont été très intenses émotionnellement.

Le décalage entre un corps jeune et des gestes de personnes âgées donne l’impression de voir ces attitudes pour la première fois, de les voir vraiment. C’est probablement lié à une peur de vieillir, mais je crois qu’il y a dans la société une grande violence envers les personnes âgées. Beaucoup de personnes sont infantilisantes à leur égard, leur parle comme si elles étaient peu de choses. D’autres, dans des conversations vont assumer avec humour une forme de “dégoût des vieux”. Comme si on ne se rendait pas compte que ce ne sont pas des personnes âgées depuis toujours : ils ont été jeunes à une époque, de même que nous serons vieux à un moment donné !

J’aime beaucoup ce qu’écrit Simone de Beauvoir en préambule de La vieillesse : “On ne devient pas vieux en un instant. Jeunes ou dans la force de l’âge, nous ne pensons pas déjà être habités par notre future vieillesse. Elle est séparée de nous par un temps si long qu’il se confond à nos yeux avec l’éternité. Ce lointain avenir nous paraît irréel.” Je voulais que le dispositif du film rende réel ce lointain avenir et ce lointain passé.

Propos recueillis par Raphaëlle Pireyre


Comprenant aussi des films d’Aurélie Reinhorn, Clémence Poésy, Pierre Giafferi et Florent Gouëlou, la collection “Jeunesses d’aujourd’hui” sera présentée dans le cadre du Champs-Élysées Film Festival le dimanche 19 septembre à 20h30 au Cinéma le Lincoln, puis le samedi 9 octobre au Festival international des jeunes réalisateurs de Saint-Jean de Luz.

Elle devrait également circuler à partir du mois de de décembre dans des lycées et collèges de la Région Auvergne-Rhône-Alpes dans le cadre de “Lycéens et apprentis au cinéma”, en partenariat avec La Jetée et le Festival de Clermont-Ferrand.

À lire aussi :

- Le 10e Champs-Élysées Film Festival, du 14 au 21 septembre 2021.

- Un autre court métrage de Mathilde Chavanne : Quelque chose brûle