Festivals 30/03/2021

Cinéma du réel 2021 : retour sur la compétition française

La 43e édition de Cinéma du réel, qui se déroulait cette année intégralement en ligne, s’est terminée le dimanche 21 mars. Focus sur la sélection française à travers un bouquet de six films courts présentés en première mondiale.

Six œuvres comme autant d’attentions fortes et délicates portées à une multiplicité de territoires et états de notre monde, chacun de ces gestes venant redonner vie à des voix étouffées, briser des digues ou bousculer la fourmilière endormie de nos imaginations isolées.
 
On doit sûrement Un mal sous son bras (photo ci-dessous), récompensé par le Prix du court métrage Tënk, à la double nationalité de la cinéaste franco-libanaise Marie Ward. Au fil de séjours réguliers à Beyrouth, elle est saisie par la domination de l’influence européenne et l’effacement de pans entiers des mœurs arabes. Son film révèle le thème de l’amour entre hommes, accepté à l’origine par l’Islam avant d’être condamné par les chrétiens.

Conte onirique narré via une voix off érudite, il réunit un groupe d’hommes dans une forêt sombre pour s’adonner à un temps érotique. La séquence esquisse comme un rituel de restauration de ces fièvres éteintes. De superbes gravures ottomanes du XIXe siècle, extraites de l’ouvrage Islamic Homosexualities, ponctuent leurs ébats. Une démarche de renversement transgressive est ici à l’œuvre pour ressusciter cet héritage, tel un carnaval où les corps seraient nus et emmêlés.


 
Dans Silabario (photo de bandeau) – en français : “syllabaire”, petit manuel pour apprendre à lire –, Marine de Contes s’intéresse à une autre forme d’héritage en voie de disparition : le Silbo, un langage sifflé pratiqué par les habitants de l’île de la Gomera, aux Canaries (également moteur de l’intrigue des Siffleurs de Corneliu Porumboiu en 2019).

Dans une première partie, la cinéaste installe dans ses cadres des paysages exotiques et célestes, fixe les montagnes dont les strates sont témoins de ces communications ancestrales. Usant de sa caméra comme de jumelles, elle s’adonne au birdwatching, scrute le chant des habitants, qui se récitent un poème sifflé, tels des oiseaux perchés dans les pierres. Elle pénètre ensuite la canopée, filme un à un les membres du chœur. Nous guettons l’image en quête de leur apparition, spectateurs privilégiés d’un chant menacé.


 
On imagine bien les oiseaux de Marine de Contes englués dans les coulées noires de Corps Sample, d’Astrid de la Chapelle (photo ci-dessus). Fabriqué à partir d’images prélevées sur Internet, son registre expérimental porte une réflexion sur le fossile, la trace humaine dans le paysage, la pollution, en héritier du Chant du styrène d’Alain Resnais qui s’intéressaient aux “obscurs résidus” de 1959. Ici, le film remonte en 1924 pour mettre en parallèle le décès d’un alpiniste, George Mallory, et celui de Lénine. Deux corps conservés par des biais aussi différents que les forces idéologiques qui les animaient de leur vivant : perpétuer l’esprit pionnier de l’impérialisme britannique vs. mener la révolution communiste. Nous explorons les différents états et exploitations de la matière soumise à la chimie humaine. De lisses surfaces marmoréennes se fondent en dé, en domino, en pâte de dentifrice. Dans une carrière, on cultive les pierres qui abriteront les lieux d’exercice de l’idéologie.


 
L’imagerie de la propagande politique produirait-elle une autre forme de pollution ? Virgil Vernier s’empare, dans Kindertotenlieder (photo ci-dessus, le titre signifie en allemand : “Chants sur la mort des enfants”), du traitement par les journalistes de TF1 des émeutes survenues en banlieue parisienne en 2005, suite aux décès de Zyed Benna et Bounna Traoré. En plaçant ces rushs bruts, à nu sans leurs insignes identitaires – logos de la chaîne, commentaire en voix-off – sur la table de montage, il les détourne pour mettre à plat l’angle retenu : retranscrire la parole d’État sur les thèmes de la délinquance et de la répression.

On aimerait voir ce court film, qui sera l’esquisse d’un projet plus long, dialoguer avec En formation (présenté en février au festival Filmer le travail à Poitiers), où Sébastien Magnier et Julien Meunier ont suivi de près une promotion d’étudiants d’une grande école de journalisme.


 
Au-delà du groupe générique que représente “la police”, c’est un zoom sur un homme en particulier que propose Yohan Guignard dans Random Patrol (photo ci-dessus), lauréat du Prix du court métrage. Le cinéaste a trouvé sa place sur le siège passager aux côtés de Matt, officier de police à Yukon dans l’Oklahoma qu’il a rencontré au cours d’un voyage aux États-Unis en faisant du couchsurfing chez lui. Un lien précieux pour le filmer dans son quotidien de patrouilles d’usage, non événementielles, et parvenir à capter les émotions contenues derrière l’uniforme et la charge virile symbolique qui lui est associée.


 
Clara Claus ne fait pas appel à la police dans Nightvision (photo ci-dessus), qui obtient une mention spéciale au palmarès. Ce serait pourtant justifié : chaque nuit, un homme vient rôder dans l’enceinte de la villa de Long Island où elle réside, le temps d’une collaboration avec un grand photographe. À la place, elle poursuit un journal filmé de ce quotidien solitaire, où percent des pointes de suspense et d’angoisse. À mesure qu’elle observe l’inconnu, spectre blafard sur les images de la caméra de surveillance de la résidence, un scénario de film d’horreur iconique se trame dans l’esprit du spectateur.

Dans une démarche de mise à distance, Clara Claus semble utiliser son home movie comme une arme de défense psychologique pour reprendre le contrôle sur son angoisse, démontrant ainsi que les outils du cinéma permettent de reprendre pied dans le réel.

Cloé Tralci

À visiter aussi, le site de Cinéma du réel.

À lire aussi :

- Le palmarès de l’édition 2020 en virtuel de Cinéma du réel.