Festivals 17/11/2022

“Ces films sont des promesses” : entretien avec l’équipe d’Entrevues

La 37e édition du Festival Entrevues de Belfort, qui se déroulera du 20 au 27 novembre 2022, a été concoctée par une toute nouvelle équipe artistique, que nous avons rencontrée.

Après trois ans à la tête du Festival Entrevues de Belfort, Elsa Charbit a passé le flambeau à une équipe collégiale structurée autour des deux pôles qui font l’identité du festival depuis ses origines : la compétition international, avec sa sélection de premiers, deuxièmes et troisièmes films, et les programmations hors compétition.

Accompagnés d’Anna Tarassachvili et Cécile Cadoux, qui travaillent à la programmation et la coordination du festival depuis des années, le nouveau comité de la compétition a concocté une sélection de neuf courts et moyens métrages : Victor Bournérias, Paola Raiman, Vincent Poli et Claire-Emmanuelle Blot sont programmateurs pour des salles (Le Grand Action à Paris), des festivals (les Journées cinématographiques dionysiennes, à L’Écran de Saint-Denis, ou le FID, à Marseille) ou ont œuvré à l’expérience collective de La Clef, cinéma occupé du Ve arrondissement et belle utopie de programmation alternative et collégiale.

Nous avons rencontré les trois premiers, qui nous ont parlé de la sélection des neuf courts métrages (sur 1 400 reçus !) qui forment la compétition internationale de cette édition 2022 qui débute dimanche prochain, le 20 novembre.


Koban louzoù de Brieuc Schieb (compétition courts et moyens métrages).

Comment avez-vous rejoint l’équipe d’Entrevues et son expérience d’équipe artistique collective ?

Victor Bournérias : C’est l’association Cinémas d’aujourd’hui qui nous a appelés pour nous proposer cette formule collégiale. J’avais déjà été sélectionneur à Entrevues en 2018, sous la direction artistique de Lili Hinstin, avant de la suivre au Festival de Locarno en 2019. Ce qui nous intéressait dans cette proposition, c’était la vision assez “englobante” : tout le monde ne décide pas à tous les endroits, mais nous suivons les différents choix à tous les niveaux.

Vincent Poli : J’aime la taille du festival Entrevues, que je trouve plus “fructueuse”, humainement notamment, que des manifestations plus importantes. J’ai auparavant travaillé au FID Marseille et les festivals d’ampleur offrent moins cette possibilité.

Paola Raiman : Nous nous connaissions tous, par notre cinéphilie, nos expériences. Claire-Emmanuelle Blot et moi avons travaillé ensemble pendant un an à La Clef et cette expérience collective a sans doute pesé dans le choix. J’ai aussi fait partie du comité de sélection du Festival Biarritz Amérique latine.

Est-ce que cette configuration a des incidences sur le processus de décision de la sélection ?

VP : Nos choix se sont faits en débattant. Ce processus évite que la sélection ait un visage unique. J’espère que plusieurs personnalités s’affichent dans cette programmation.

VB : La seule chose qui change dans ce processus collégial de décision, c’est que personne n’a le “final cut”. Au moment où un comité a des avis divergents, une direction artistique vient trancher.


Dirty-Difficult, Dangerous de Wissam Charaf (compétition longs métrages).

Que représentait ce festival pour vous avant d’y contribuer ?

VB : En dehors de ma collaboration en 2018. J’avais été invité en 2017 pour parler du cinéma de Luc Moullet. Les premières rétrospectives de la production Diagonale ont eu lieu à Belfort : elles ont énormément compté dans ma cinéphilie. Nous avons envie de travailler pour Entrevues pour défendre la ligne qui était déjà mise en avant. Il ne s’agit pas de faire fi du passé et d’imposer autre chose. Il me semble que notre sélection est en accord ce qui a eu lieu dans le passé du festival. 

PR : Lors de ma venue en tant que critique pour les Cahiers du cinéma en 2018, j’ai aimé la programmation audacieuse, sur la sélection autant que le hors-compétition. C’est un cinéma auquel je me rallie.

VP : Je suis moi aussi venu à Entrevues en 2018, pour accompagner un film dans lequel j’étais acteur, Les belles portes de Carmen Leroi qui était en compétition courts métrages. J’ai aussi toujours été attentif à la programmation du festival, en particulier pour son rapport à un certain cinéma américain : comme Graham Swon et son film The World Is Full Of Secrets mais aussi des formes très libres comme The Kamagasaki Cauldron War de Leo Sato, des films que j’ai eu envie de programmer ailleurs.


Grand littoral d’Augustin Bonnet (compétition courts et moyens métrages).

La compétition de courts métrages est composée de seulement neuf films cette année, dont le plus long dure 59 minutes. Comment avez vous choisi de les agencer dans la grille de programmation ?

VP : Dans le premier temps de la sélection, nous ne nous sommes pas posé la question de la durée des films ou de leur nombre. Une fois que ces neuf films ont été là, nous avons choisi une grille hybride : certaines séances assemblent un moyen avec un court, ou un long de petite durée avec un court .. Nous avons cherché à ce que les films dialoguent directement, mais nous ne nous sommes pas interdits non plus des assemblages dans lesquels les films se complètent de façon étonnante, voire contradictoire. On accueille des films qui ne cherchent pas la perfection, la fluidité absolue, mais ont des formes très différents, expérimentales, et créent des aspérités.

VB : La question du réel est souvent présente, mais en assumant cet héritage de formes hybrides qu’Entrevues a toujours mis en avant. La compétition internationale se compose de 12 longs métrages et de 9 courts. Nous cherchions une dizaine d’œuvres dans chaque catégorie, mais c’est le hasard des films qui a décidé. Nous n’avons pas fait de distinction dans la façon de programmer entre les courts et les longs. Ce choix de couplage aide aussi à décloisonner le court et le long vis-à-vis du public. Je me méfie des pures séances de court métrage, qui peuvent être plus être axées vers le public spécialisé et se couper du public non professionnel.

PR : Nous avons même discuté en comités des longs et des courts de façon entremêlée…

VB : La compétition a été pensée comme une globalité, au point que nous nous sommes rendus compte que nous avions peu de longs français alors que le cinéma national est bien plus représenté dans les courts. Ce déséquilibre retombe sur ses pieds dans la globalité.


Andy et Charlie de Livia Lattanzio (compétition courts et moyens métrages).

Comment concevez vous la responsabilité d’accueillir des premiers films ?

PR : Ces films sont des promesses, nous avons eu plusieurs fois envie de faire des paris.

VP : Le choix de premières œuvres audacieuses implique de mettre en avant des cinéastes à un moment fragile pour eux, sans savoir vers quoi le travail va évoluer.

VB : Planter le drapeau “Entrevues” sur la première d’un film avec des exigences de première mondiale nous intéresse beaucoup moins que d’accompagner les débuts d’un film ou la naissance de la carrière d’un cinéaste.

PR : Les cinéastes français, européen, américains qui viennent  pour la première fois montrer leurs films savent qu’Entrevues est un festival qui va les accompagner. Des cinéastes reviennent en compétition, comme Laure Garcia ou Fukata Takayuki cette année. Mais aussi en hors compétition. La Fabrica est consacrée cette année à Emmanuelle Cuau et Rabah Ameur-Zaïmeche qui ont montré ici leurs premiers films. Lorsque nous invitons Damien Manivel qui est dans le jury après avoir gagné le Grand prix ici en 2016 avec Le parc, c’est avec l’idée qu’il y a une continuité.

Propos recueillis (en visioconférence) par Raphaëlle Pireyre le 9 novembre 2022


Photo de bandeau : El agua d’Elena López Riera (en avant-première, séance Coup de cœur GNCR).

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