En salles 22/02/2023

Un premier long à voir en salles cette semaine : Chevalier noir d’Emad Aleebrahim Dehkordi

Distribuée par Jour2Fête, cette coproduction franco-germano-italo-iranienne est signée d’un ancien pensionnaire du Fresnoy. Le Grand prix du jury de la compétition des longs métrages européens lui a été décerné au dernier Festival Premiers plans d’Angers.

En pleine nuit, Iman essaie de rentrer dans la maison familiale, mais trouve porte close. Il escalade les toits pour se faufiler par la fenêtre. La scène inaugurale de Chevalier noir peut se lire de façon métaphorique : son personnage sait contourner les accès autorisé de la société iranienne dont il parcourt la capitale à moto, essentiellement pour y livrer de la cocaïne. On peut y voir aussi une façon pour le cinéaste Emad Aleebrahim Dehkordi de raconter son propre retour dans son pays natal afin d’y tourner son premier long métrage après s’être formé en France, au Fresnoy, Studio national des arts contemporains.

Iman passe ainsi de son district pauvre de Shemroon aux quartiers riches. Franchir de force le portail d’une villa où des clients refusent de le payer va précipiter, telle une tragédie moderne, la chute de sa famille. Iman et son frère Payar vivent avec leur père, en perdition depuis la mort de sa femme. Derrière le récit social d’une famille incomplète où chaque membre essaie à sa façon d’échapper à la pauvreté, Chevalier noir prend aussi des allures de conte.

À l’écriture du scénario entamée en 2012, le cinéaste était très imprégné par Le livre des rois, récit mythologique iranien peuplé de créatures légendaires. Au point qu’il a donné à son récit réaliste des éléments épiques. L’attaque soudaine d’Iman par un rapace surgit comme un signe de mauvais augure dans l’histoire d’Iman. Mais le réalisateur s’est aussi nourri de nombreuses  anecdotes faisant état d’espèces sauvages se multipliant en pleine ville en raison du confinement, du réchauffement climatique et de l’extension de la capitale iranienne sur la campagne environnante. Chevalier noir mêle avec finesse cette constatation réelle et une fonction symbolique qui se manifestait de façon plus franche dans Cavalière, court métrage tourné dans le désert iranien en 2020. Une jeune femme en armure, blessée par une chute de cheval, y affronte seule un ennemi puissant – la mort en personne – qui souhaitait sa perte.

Il y a quelque chose de très iranien dans la façon dont Chevalier noir fait de la transaction (morale, financière, familiale) et de l’héritage les questions centrales de la société. La transmission cinématographique est aussi déterminante chez Emad Aleebrahim Dehkordi. Phill (1390) (2011, visuel ci-dessus), court expérimental réalisé au Fresnoy reprenait les images du jeu vidéo conçu par Gus Van Sant pour Elephant (qui, dans un effet de mise en abyme, reprend lui même le décor et les personnages de son film précédent : Gerry), explorant la stylisation de la représentation de la violence.

Lower Heaven (2017, photo ci-dessus), premier film narratif de Dehkordi, s’inscrit pour sa part davantage dans la filiation du maître iranien Abbas Kiarostami. Son premier plan rappelle, par son cadre, sa situation, ses personnages d’enfants perdus tout de l’auteur du Vent nous emportera. Il n’est pas anodin que le cinéaste confie à Behzad Dorani, l’interprète principal de ce film, le rôle du père déchu dans Chevalier noir. Ombre spectrale obsédée par la peur du vol, il consomme de l’opium pour garder le contact avec les fantômes du passé et échapper au présent, devenu un film noir qui se termine en éclat de rire nerveux provoqué par la consommation de puissants sédatifs. 

Raphaëlle Pireyre

À voir aussi :

- Un autre film d’une cinéaste d’origine iranienne : À cœur perdu, de Sarah Saidan, disponible actuellement sur Brefcinema.

À lire aussi :

- Un autre premier long en salles actuellement : Le marchand de sable de Steve Achiepo.