En salles 29/03/2023

Plus Chelles la vie avec Martin Jauvat

Découvert à l’Acid, à Cannes, l’an dernier, Grand Paris, premier long métrage de Martin Jauvat, sortira le 29 mars prochain chez JHR Films. Il fait suite à plusieurs courts métrages, dont une première version du film, intégrée dans celui-ci et désormais invisible : Grand Paris Express.

Grand Paris débarque enfin dans les salles et s’il constituera pour beaucoup, y compris certains critiques pas toujours à jour, des “premiers pas”, ce court long métrage (1h12) apparaît plutôt comme un aboutissement pour qui, comme nous, suit le parcours de réalisateur de Martin Jauvat depuis plusieurs années. Il y a en effet une belle homogénéité dans la succession des différents courts de ce jeune cinéaste qui avait été vraiment révélé par Le sang de la veine en 2021, mais dont Les vacances à Chelles et Mozeb avaient précédé en 2019-2020, tandis que Grand Paris provient directement d’une version courte du projet, au titre à peine développé : Grand Paris Express (qui s’est du coup arrêté de circuler, n’ayant gère été vu qu’à Clermont-Ferrand, début 2022 et, sauf erreur, sur Arte).

Donc, dans tout le cinéma de Jauvat, il y a d’abord la banlieue, montrée de façon inattendue, à mille lieux des clichés rebattus, avec beaucoup de vert, d’arbres et de champs (comme aussi dans Ville éternelle de Garance Kim, où Jauvat est acteur et coscénariste). Plus que la banlieue, ses films sont inscrits dans la géographie particulière de Chelles, en Seine-et-Marne, sa ville à lui. Des vacances d’été s’y déroulent dans le film éponyme, le héros de Mozeb y retourne pour une mission énigmatique, le lascar en maillot de foot du Sang de la veine s’y rend à un rendez-vous Tinder (fixé au 36 rue des Enfers !) et le duo de poteaux de Grand Paris y habite aussi, forcément.

Ensuite, il se passe des trucs plutôt bizarres dans tous ces films : une chose à trouver dans Mozeb (mais est-ce un flacon avec un liquide ou une balle verte en caoutchouc ?), un artefact sur le chantier d’une nouvelle ligne de métro du Grand Paris, ou même des extra-terrestres qui surgissent… Voilà qui pourrait participer d’un esprit potache, sauf que ce n’est jamais ridicule et on y croit toujours, ou presque…

Et ce n’est pas tout : l’extra ordinaire tient aussi à cette galerie de gugusses sortis de nulle part et plutôt brindezingues. Une amitié atypique peut naître avec un type qui crache trop fort dans le voisinage tandis qu’on se prélasse dans sa piscine gonflable et on peut faire un bout de route avec un livreur de hamburgers qui se pointe en pleine nuit pour proposer un sandwich M’Bappé avec sauce Giscard d’Estaing en option… Il y a même, tiens tiens, Benoit Forgeard qui vient glisser un bout de sa moustache dans Mozeb, c’est dire !

Parce que bien sûr, on se marre dans les films de Jauvat, et lui-même en premier lieu, dont la bouille apparaît souvent, entre le collier de barbe et le bob de boloss. Ces anti-héros de grande couronne, aussi dilettantes qu’attachants, courent après des objectifs futiles, sinon incompréhensibles, et se font bouger de temps à autre par les filles, plus mûres et plus dégourdies (Chloé Astor dans Mozeb, Anaïde Rozam dans Le sang de la veine), pour une jubilatoire inversion des rôles.

Pourtant, une certaine mélancolie de dégage parfois : l’Erwin des Vacances à Chelles est sacrément déprimé, sinon suicidaire, et ne cherche, au fond, qu’avoir un bon copain – jusqu’à demander à dormir avec lui, certes… – et le plan-cul de Simon dans Le sang de la veine fait long feu, pour cause d’incompatibilité musicale (!). Ça arrive, rien que de très normal, puisque “c’est vraiment une drôle de ville, Chelles”, comme le glisse l’agent spécial Van der Byten (joué par Sébastien Chassagne) à l’ingénu Georges à la fin de Mozeb. Une sorte de Twin Peaks du jeune cinéma français, en somme. 

Christophe Chauville

En amont de la sortie de Grand Paris chez JHR Films le 29 mars, une séance aura lieu à la Cinémathèque française, en présence de Martin Jauvat, le lundi 20 mars à 19h30. Les vacances à Chelles, Mozeb et Le sang de la veine y seront projetés.

Le programme “Un été en Seine-et-Marne” diffusé en salles par Ecce Films, en partenariat avec L’Agence du court métrage continue également d’être montré ci ou là. Il réunit pour sa part Les vacances à Chelles, Le sang de la veine et Ville éternelle de Garance Kim.

À voir aussi :

- Le sang de la veine, actuellement disponible sur Brefcinema.

À lire aussi :

- Comme une actrice : Sébastien Bailly du court au long.

Un entretien avec Martin Jauvat figure également dans le numéro 128 de Bref, actuellement disponible.